Ce printemps, une sarcelle à ailes bleues s’est tout entière consacrée à sa progéniture, dissimulée dans un champ de foin non loin d’un luxuriant marais du Manitoba. Or, son parcours avait commencé des mois auparavant. À des milliers de kilomètres de là, parmi les arbustes d’une mangrove du Mexique, elle s’est nourrie, s’est reposée et s’est refait des forces pour franchir le parcours migratoire ardu qui allait la mener dans le Nord, dans son habitat de reproduction au Canada.
Ce petit oiseau a traversé les frontières des États et les frontières fédérales sans s’inquiéter de la politique. Il a survolé les trois pays nord-américains, y a picoré et s’y est réfugié sans penser aux priorités partisanes ni aux budgets de l’État. À l’heure où les gouvernants du monde s’apprêtent à se réunir à Montréal pour la COP 15 et à tracer un parcours pour freiner et inverser la dégradation de la biodiversité, il serait sage de s’inspirer des indices que leur donnent les millions d’oiseaux migrateurs comme la sarcelle à ailes bleues. Pour mieux appuyer l’espèce, les pays doivent travailler de concert et, d’abord et avant tout, protéger et restaurer l’habitat.
La conservation transfrontalière et la raison d’être de son importance
L’histoire de la sarcelle à ailes bleues nous apprend que la faune ne connaît pas de frontières — et que lorsqu’il s’agit de la conservation, nous ne devrions pas non plus en tenir compte.
La notion de conservation transfrontalière est simple : les pays qui se partagent les ressources naturelles doivent travailler de concert pour les gérer judicieusement. L’ennui, c’est que les finances, la politique et les priorités à mener de front font souvent obstacle aux meilleures intentions. Sans les efforts de conservation collaborative qui permettent de préserver la faune pendant tout son cycle de vie et malgré les territoires géographiques, les pays risquent de perdre de précieuses espèces. Le monde entier se prive ainsi de la biodiversité essentielle à la santé humaine, à l’économie et à notre bien-être.
L’approche continentale de Ducks Unlimited

Canards Illimités Canada (CIC) mène depuis plus de 80 ans la conservation transfrontalière en Amérique du Nord. De concert avec les organisations de Ducks Unlimited aux États‑Unis et au Mexique, nous travaillons avec les gouvernements, l’industrie, l’agriculture, les universités, les communautés autochtones et les propriétaires fonciers privés pour sauvegarder les zones essentielles à la sauvagine et aux autres représentants de la faune.
« Notre modèle de conservation puise ses origines dans le principe du partage de la charge de travail et de l’abondance, explique Pat Kehoe, chef de la conservation de CIC. En travaillant avec nos partenaires, nous produisons des résultats qui rapprochent la faune et la flore sur tout le continent grâce aux bienfaits significatifs et vastes apportés par les milieux humides et les autres zones naturelles. »
Quarante pour cent de l’ensemble de la faune s’en remettent aux milieux humides. Ces écosystèmes, qui regroupent les marais, les étangs, les bogs, les marécages, les fens et d’autres plans d’eau libres, sont comparables aux forêts tropicales et aux récifs coralliens du point de vue du nombre et de la variété des espèces dont ils assurent la survie.
Collectivement, les organisations de Ducks Unlimited ont conservé plus de 6,5 millions d’hectares de milieux humides et d’autres habitats liés, dont les fondrières des Prairies et les prairies du Canada et des États‑Unis, toutes essentielles, ainsi que les mangroves du littoral du Mexique. Ce partenariat international puise sa vigueur dans ce qui est considéré comme le modèle de conservation le plus fructueux dans le monde : le Plan nord-américain de gestion de la sauvagine (PNAGS).
La feuille de route pour réussir : le Plan nord-américain de gestion de la sauvagine
Le PNAGS est un partenariat international qui réunit les gouvernements du Canada, des États‑Unis et du Mexique. Son mécanisme de financement, prévu dans la North American Wetland Conservation Act (NAWCA), mise sur le concours financier des gouvernements fédéraux, provinciaux, étatiques et municipaux, des organisations non gouvernementales, des sociétés privées et des particuliers afin de créer le financement qui permet de sauvegarder les habitats essentiels au patrimoine naturel du continent.
Les rapports les plus récents sur la population des oiseaux apportent la preuve convaincante du succès du PNAGS et donnent une lueur d’espoir pour les autres espèces en difficulté. En effet, selon le 2022 State of the Birds Report, la sauvagine est le seul groupe aviaire en Amérique du Nord à compter sur des populations stables ou croissantes. Cette lueur d’espoir dans ce rapport par ailleurs sombre, qui fait état de 70 espèces qui ont atteint le « point de bascule », nous la devons aux solides efforts de financement et d’investissement dans les politiques. Ces oiseaux, qui ont perdu la moitié ou plus de leur population nicheuse depuis 1970, sont en voie d’en perdre l’autre moitié dans les 50 prochaines années.
« Ce qui a fonctionné pour la sauvagine peut fonctionner pour les autres oiseaux et les autres espèces en crise, précise Pat Kehoe. Les rebonds de la population de la sauvagine nous apprennent que lorsqu’on investit dans la conservation de l’habitat, on peut rétablir la biodiversité. »
Se retrousser les manches : les interventions collaboratives pour la biodiversité

D’après le 2022 Living Planet Report du Fonds mondial pour la nature, les populations sauvagines ont plongé de 69 % depuis 1970. C’est maintenant qu’il faut se retrousser les manches et s’engager à accroître la collaboration et les investissements des gouvernements. Les organisations conservationnistes, les entreprises et les particuliers doivent se mobiliser pour apporter des changements sur le terrain. La société doit être consciente des difficultés et adopter des solutions. Le moment est venu de se mobiliser. Voici un aperçu des principales interventions qu’il faut mener pour permettre de freiner et d’inverser la dégradation de la biodiversité.
1. Intervention : S’inspirer des leçons et du succès du modèle du PNAGS pour créer d’autres accords de partenariat internationaux sur la biodiversité. En reprenant le modèle du PNAGS dans d’autres contextes de la biodiversité, on pourra porter les interventions consacrées à la conservation de l’habitat et aider les espèces en déclin à remonter la pente.
2. Intervention : Augmenter les investissements aujourd’hui consacrés au PNAGS pour appuyer les populations d’oiseaux migrateurs et les autres espèces qui dépendent des milieux humides. Sauvegarder les habitats des oiseaux apportera aussi des bienfaits à des centaines d’autres espèces de végétaux, de mammifères, d’amphibiens, d’insectes et de poissons — qui sont dans bien des cas à risque.
3. Intervention : Établir des lois, des règlements et des politiques complémentaires pour protéger les espèces vulnérables.
4. Intervention: Créer des couloirs fauniques efficaces, qui promeuvent la pérennité des espèces en connectant les parcelles d’habitat dans l’ensemble des paysages fragmentés.
5. Intervention : Financer adéquatement la recherche et la surveillance des habitats dans les milieux humides en établissant un inventaire complet des milieux humides pour permettre au Canada de compléter les inventaires déjà établis aux États‑Unis et au Mexique.
Dans le cadre des préparatifs qui se déroulent en prévision de la COP15 et des échanges de plus en plus pressants et complexes à propos des moyens de contrer la dégradation de la biodiversité, pensons à la sarcelle à ailes bleues et à son parcours dans toute l’Amérique du Nord. La coopération des pays est le seul moyen de protéger la biodiversité mondiale. Qui dit ressources communes, dit aussi responsabilité commune. La volonté de conservation collaborative transfrontalière est la seule voie à suivre pour que le ciel s’emplisse de nuées d’oiseaux migrateurs et pour que la faune anime les paysages.