Leçons d’habitat et d’espoir

Buffets de bestioles : l’importance des milieux humides pour l’hirondelle bicolore

Au projet Rink de CIC, un puissant vent fouette les hautes herbes des prairies dans un sens puis dans l’autre, créant des vagues ondulantes sur une mer verdoyante. De petits oiseaux bruns gazouillent dans l’herbe, un bourdon vole tout près et un urubu à tête rouge plane très haut dans les courants thermiques. Et bien sûr, les magnifiques hirondelles sont présentes également.

Les moments comme ceux-ci, avec autant de biodiversité, deviennent de plus en plus rares. Même dans cette région, une grande partie des hummocks a été sacrifiée pour des cultures; des clôtures décrépites le long des terres cultivées annuelles rappellent des pratiques agricoles passées qui étaient axées davantage sur les vaches que sur le canola.

De plus en plus, l’agriculture intensive domine ce paysage, en misant sur les variétés de cultures, les engrais, l’irrigation et les pesticides pour stimuler la production alimentaire par hectare. C’est une approche qui, malheureusement, conduit souvent à la perte de milieux humides et de prairies, et à la diminution de la biodiversité. Mais cette tendance n’est pas toujours la norme.

Christy Morrissey est professeure agrégée au Département de biologie et à l’École de l’environnement et du développement durable de l’Université de la Saskatchewan. Écotoxicologue, Christy étudie les contaminants environnementaux et leur impact sur les oiseaux et les écosystèmes aquatiques. « Nous devrions avoir la biodiversité la plus faible de tous les paysages agricoles, note Christy, mais ce n’est pas le cas. Les hirondelles semblent se porter mieux dans les Prairies, bien qu’il s’agisse de la région la plus agricole du Canada. »

Avec ses collègues et ses étudiants, Christy dirige les efforts de recherche au projet Rink et à d’autres sites d’étude de la Saskatchewan, cherchant à expliquer la relation entre l’agriculture et la biodiversité, et ce que cela pourrait signifier pour l’avenir des hirondelles.

Christy et son équipe ont examiné comment les hirondelles bicolores en période de reproduction répondent aux différentes pratiques agricoles en comparant des sites de culture annuelle intensive à des pâturages, et des sites comprenant quelques milieux humides à des sites en comprenant plusieurs.

La condition physique des hirondelles bicolores qui naissent sur des terres cultivées avec des milieux humides correspondait presque à celles qui naissent dans des prairies herbacées; les œufs étaient pondus plus tôt et l’état corporel des oisillons rendrait les mères fières. Christy explique : « plusieurs études suggèrent que les oiseaux réussissent aussi bien à des sites cultivés dans les zones d’agriculture intensive s’il y a des milieux humides à proximité. »

Un important corpus de recherches sur l’hirondelle bicolore a lié la nutrition dérivée des milieux humides à des oisillons plus en santé et à un nombre plus important de jeunes qui quittent le nid, et une grande partie de cela est due aux acides gras à longue chaîne. Ces nutriments essentiels sont propres aux chaînes trophiques aquatiques qui commencent par les algues et conduisent à des insectes servant de proies de haute qualité.

Pour l’hirondelle bicolore, les insectes d’eau sont un excellent repas, et cela vaut la peine de parcourir plus de distance pour en trouver. Christy explique : « nous avons constaté que même si les milieux humides représentent un petit pourcentage du territoire, l’hirondelle bicolore préfère fortement se nourrir en survolant ces plans d’eau. Il n’était pas rare que des oiseaux soient trouvés à deux kilomètres de leur nid à la recherche d’insectes aquatiques. »

Selon les recherches de Christy, les milieux humides des cuvettes des prairies sont extrêmement importants, car ils offrent un soutien essentiel à la biodiversité dans les paysages agricoles. Si nous espérons venir en aide à l’hirondelle bicolore et aux autres insectivores aériens, la conservation des milieux humides sera une partie essentielle de l’équation.

« Tant que nous pouvons conserver une mosaïque de types d’habitats qui comprend des milieux humides et des parcelles de prairies, nous pouvons maintenir un paysage fonctionnel qui laisse aussi la place à la biodiversité », explique Christy.

Favoriser le rétablissement dans la vallée du Columbia en Colombie-Britannique

Rachel Darvill possède plus de deux décennies d’expérience dans la conservation des espèces en péril au Canada et à l’étranger et a travaillé avec toutes sortes d’espèces, des éléphants aux baleines. Ces jours-ci, Rachel est passionnée par les hirondelles, et adopte une approche unique dans la vallée du fleuve Columbia en Colombie-Britannique pour aider les populations d’hirondelle de rivage en péril à se rétablir.

Autrefois nombreux et répandus, les effectifs d’hirondelles de rivage ont diminué au cours des 40 dernières années, représentant une perte de 98 % de la population canadienne. En mai 2013, l’espèce a été inscrite comme espèce menacée par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada.

Les efforts de rétablissement mettent l’accent sur la restauration et la protection des endroits où l’hirondelle de rivage niche, se nourrit et se repose. Et en Colombie-Britannique, la zone de gestion de la faune des zones humides du Columbia, désignée par Ramsar, a été identifiée comme un point chaud.

Wildsight Golden est une organisation qui travaille à protéger la vallée du fleuve Columbia, riche et diversifiée, qui abrite une abondance d’amphibiens, de reptiles, de mammifères, d’oiseaux, de poissons et d’invertébrés, y compris des espèces rares comme l’hirondelle de rivage.

En 2021, ils ont lancé le « Upper Columbia Swallow Habitat Enhancement Project » (projet d’amélioration de l’habitat des hirondelles du cours supérieur du fleuve Columbia) pour favoriser le rétablissement des populations d’hirondelles de rivage. Rachel a été engagée comme biologiste afin d’élaborer et de diriger les efforts scientifiques et éducatifs du programme.

L’hirondelle de rivage niche dans des terriers qu’elle creuse dans les berges et les falaises de sable en utilisant ses pattes, ses ailes et son bec. L’inventaire initial des aires de nidification potentielles réalisé par Rachel a révélé que ces berges et falaises sablonneuses étaient peu abondantes.

« Nous avons identifié 128 colonies d’hirondelles de rivage le long du fleuve Columbia, explique Rachel. Mais nous avons également constaté un manque d’habitat de nidification disponible le long du tronçon nord de la vallée. Nous souhaitions construire des structures de nidification là où les sites naturels de nidification manquaient et améliorer la qualité de l’habitat de ces zones pour les hirondelles. »

L’emplacement choisi par Rachel pour la structure du nid était une zone de plaines humides inondables le long du fleuve Columbia connue comme le marais Moberly. Grâce aux efforts conjugués de CIC et des parcs de la Colombie-Britannique, les aires naturelles du marais Moberly, c’est-à-dire plus de 280 hectares, avaient déjà été protégées.

Pour construire la structure du nid destiné à l’hirondelle de rivage, l’équipe de Wildsight s’est inspirée d’une conception testée au Québec. Ressemblant à un panneau perforé géant, un mur de ciment avec de petites ouvertures perforées fournit la surface verticale prisée par les hirondelles. Le matériau derrière le mur est tout aussi important.

« Nous savions que nous avions besoin du bon type de substrat pour que les hirondelles puissent y créer des terriers, explique Rachel. Le matériau sablonneux a été pris dans une gravière voisine où les hirondelles avaient essayé de nicher, donc nous savions qu’elles l’utiliseraient. »

Pour les hirondelles et les autres espèces sauvages de la région, la vie au marais Moberly va continuer de s’améliorer. Les structures de contrôle de l’eau vieilles de cinquante ans que CIC exploitait en vertu d’une entente avec les parcs de la C.-B. devraient être retirées au cours des cinq prochaines années. L’infrastructure arrive à la fin de sa vie utile et, en consultation avec les biologistes, le personnel des parcs de la C.-B., les communautés autochtones et d’autres intervenants de la région, des plans visant à restaurer le parc provincial Burges James Gadsden en un habitat naturel et dynamique de plaine inondable ont été élaborés, ce qui procurera le plus grand avantage à la diversité des espèces du parc et reliera le projet à la zone de gestion de la faune des zones humides du Columbia adjacente.

Pour Rachel, cela a fait du marais Moberly un endroit idéal pour la nidification des hirondelles. « Avec la naturalisation qui aura lieu au cours des prochaines années, l’eau reviendra au marais Moberly et apportera encore plus d’insectes, donc de nourriture, pour les hirondelles et leurs petits. »

Les ailes des Prairies : un projet de conservation des hirondelles au Manitoba

Nous sommes au début du mois de mai 2025. Patrick Lang et Mark Lussier viennent de rentrer chez eux à Winnipeg après deux jours passés à nettoyer les nichoirs dans le secteur de Saint-Ambroise. Ils rapportent des observations de merlebleus, d’hirondelles bicolores, de cygnes siffleurs, de barges marbrées, de bécassines des marais, de sturnelles, de merles noirs, de goélands, de crécerelles et de couleuvres.

« Soleil glorieux et air frais. Voilà une vraie immersion en nature », s’exclame Patrick.

Patrick et Mark sont souvent immergés en nature, en toutes saisons. Ils remplissent le fidèle Ranger rouge de Patrick avec des boîtes, des vélos et d’autres équipements et partent sillonner la campagne dans le seul but de fournir aux oiseaux des maisons sécuritaires.

Depuis 10 ans, les amis se consacrent à un projet de conservation des oiseaux connu sous le nom de « Prairie Wings » (ailes des Prairies), construisant et installant des nichoirs pour le merlebleu, l’hirondelle bicolore et rustique, les canards nicheurs et le grand-duc d’Amérique. Le taux de réussite est estimé à 70 % et ils ont laissé un héritage impressionnant dans leur sillage. C’est un travail alimenté par l’amour qui vole littéralement sous le radar.

Patrick, un employé retraité de CIC, et Mark travaillent sur le terrain en silence et avec intention, en gardant des registres méticuleux de l’emplacement des nichoirs, du nombre approximatif d’oisillons, des dates et des découvertes. Pour l’hirondelle bicolore et le merlebleu de l’Est seulement, ils ont construit et installé 500 nichoirs Peterson compacts dans divers endroits du sud du Manitoba (qu’ils nettoient au début du printemps ou à la fin de l’automne). Les nombreux nids et de nombreuses structures expérimentales pour l’hirondelle rustique à la zone de gestion de la faune du marais Oak Hammock, ainsi que le travail bénévole, permettent à 1 750 insectivores de quitter le nid chaque année, estime Patrick.

Une naissance pas très rustique

Au marais Oak Hammock, le duo dynamique a consacré une grande partie de ses efforts à la construction de maisons pour l’hirondelle rustique. Comme c’est le cas pour d’autres insectivores aériens, la perte d’habitat et les insecticides sont considérés comme les principales causes de son déclin. L’hirondelle rustique a également besoin de sites de nidification protégés de la pluie et des prédateurs aviaires comme les corneilles et beaucoup des vieilles granges qu’ils utilisaient autrefois sont démolies ou en décrépitude, comme celle qui se trouve juste en haut de la route d’Oak Hammock et qui s’enfonce lentement, une poutre à la fois, dans le sol.

Leur approche novatrice comprend diverses structures expérimentales de nid pour l’hirondelle rustique, comme des « condos » horizontaux et verticaux avec des nids spéciaux, tous conçus et construits par Mark, qui menait ce projet en solo depuis le début des années 1990 avant que Patrick se joigne à lui. Ils placent les structures à différents endroits autour du marais, sur des digues, sous des ponts et des débords de toits, des endroits qui pourraient imiter ce que les hirondelles recherchent dans les granges, afin de tester leur efficacité. Certaines sont adoptées avec enthousiasme par les oiseaux, tandis que d’autres nécessitent un déménagement. Tout cela fait partie du processus : observer, s’adapter et essayer à nouveau, apprendre de chaque saison de reproduction.

« Les oiseaux nous diront ce dont ils ont besoin », explique Patrick.

À leur manière, les oiseaux font exactement cela. Alors qu’elles volent au-dessus de leurs milieux humides préférés, engloutissant les insectes en plein vol et utilisant les structures de nidification s’y trouvant, les hirondelles donnent des indices sur ce dont elles ont besoin en matière d’habitat et de maison.

Et grâce aux gens qui aident ces acrobates ailés en écoutant et en innovant, nous pouvons mieux comprendre comment, et pourquoi, les milieux humides peuvent être une solution intéressante pour contribuer au succès des hirondelles.