Canards colverts en mouvement

Même si les canards colverts sont communs et faciles à trouver, ils ne se portent pas tous bien. Alors que les canards colverts du centre du continent se portent relativement bien, ceux dans l’Est sont en déclin. Les données fournies dans le cadre de l’Atlantic Flyway Migration Project indiquent que les canards colverts de la voie migratoire de l’Atlantique ont connu un déclin démographique d’environ 1 % par an depuis 1998.

« Nous essayons donc de comprendre les causes générales de ce déclin », explique Mme Waldrep.

Les travaux de Mme Waldrep portent sur l’écologie comportementale, c’est-à-dire, la manière dont les choix et l’environnement des canards colverts influencent leur capacité à se reproduire et à survivre. Elle compare le succès reproductif des oiseaux de l’est du Canada (une sous-population stable) à celui des oiseaux du nord-est des États-Unis (une sous-population en déclin) et analyse comment des facteurs tels que l’âge et l’utilisation de l’habitat pendant la période de reproduction peuvent expliquer le succès reproductif. Elle étudie également la concurrence potentielle avec les canards noirs (une espèce qui coexiste avec les canards colverts dans l’est de l’Amérique du Nord).

Huss, quant à elle, analyse l’impact des différentes techniques de fixation des dispositifs de suivi sur les déplacements, le comportement, la survie et le succès reproductif des canards colverts du centre du continent.

« Essentiellement, je quantifie comment ces différentes techniques de fixation peuvent entraîner des différences dans les données que nous recueillons sur les oiseaux et comment nous pouvons utiliser ces informations pour orienter les recherches futures », explique Huss.

L’histoire de deux voies migratoires

Alors, qu’est-ce qui différencie les canards colverts de l’est de leurs cousins du centre du continent? La géographie, principalement. Alors que les canards colverts de l’Est se reproduisent en Ontario, au Québec, dans les Maritimes et le nord-est des États-Unis et migrent vers le Sud en empruntant la voie migratoire de l’Atlantique pour hiverner dans l’est des États-Unis, les canards colverts du centre du continent demeurent principalement sur les voies migratoires du Mississippi et du Centre, se reproduisent dans les milieux humides des Prairies et passent leur hiver dans le sud des États-Unis.

Les canards colverts de l’Est présentent également de légères différences génétiques, souligne Waldrep. Cela s’explique en partie par la remise en liberté de canards colverts domestiques qui sont relâchés pour la chasse sportive.

« Quand vous introduisez des gènes domestiques dans la population, cela peut entraîner des différences de comportement par rapport à celui des canards colverts plus sauvages. C’est pourquoi il existe des hypothèses pour expliquer l’impact que la génétique pourrait avoir sur le déclin des canards colverts de l’Est ».

Et puis, il y a le mystère des canards colverts « résidents », soit des oiseaux qui ne migrent pas du tout.

« Sur la côte est, environ 30 % de nos canards colverts femelles marqués sont des oiseaux résidents », explique Mme Waldrep. « Cela soulève la question suivante : pourquoi certains oiseaux investissent-ils de l’énergie dans la migration, tandis que d’autres restent relativement stationnaires toute l’année? »

Suivre l’envolée

Waldrep et Huss espèrent que les données recueillies à l’aide de divers dispositifs de suivi permettront d’expliquer la situation difficile des canards colverts. Il s’agit notamment de sacs à dos accumulateur d’énergie solaire de 20 grammes placés sur le dos des oiseaux, de minuscules géolocalisateurs ou capteurs de lumière fixés à des bagues sur les pattes, ainsi que des implants. Les données sont téléchargées via les réseaux cellulaires et les chercheurs peuvent se connecter au site Web du Atlantic Flyway Migration Project pour voir où sont les oiseaux et ce qu’ils font, « à condition que la zone soit couverte par le réseau cellulaire », précise Huss.

Bien que les recherches se poursuivent et que les premiers résultats commencent tranquillement à arriver, certaines tendances fascinantes se dessinent. Par exemple, alors que les hypothèses actuelles suggèrent que l’urbanisation a un effet négatif sur le succès reproductif, « nos résultats préliminaires montrent que les paysages urbains peuvent être convenables pour la reproduction des canards colverts », explique Mme Waldrep.

Elle ajoute que les conditions météorologiques pourraient également jouer un rôle dans le déclin des populations, en particulier sur la côte atlantique, où les longues périodes de froid peuvent s’avérer mortelles pour les oiseaux.

Un élément que les chercheurs remarquent est l’importance de l’habitat. Selon Mme Huss, les canards colverts du centre du continent dépendent fortement des milieux humides pour se reproduire, car ils fournissent de la nourriture (des invertébrés) aux femelles et à leurs canetons, ainsi qu’une protection contre les prédateurs.

« Mais ce n’est pas seulement une question d’habitat », précise Mme Waldrep. « C’est aussi l’emplacement de l’habitat et ce qui l’entoure. On ne peut pas simplement créer un milieu humide au milieu d’un espace inutilisable et espérer qu’un canard l’utilisera. Nous voulons vraiment cibler la conservation des milieux humides de manière à maximiser la survie et la reproduction ».

De plus, note Mme Waldrep, si certains considèrent le canard colvert comme un canard ordinaire, il est extrêmement important pour la communauté des chasseurs. « Et les gens s’inquiètent de ce déclin ».

Collecte de données : comment les chasseurs peuvent aider

Comme dit le proverbe, « l’union fait la force » : les bénévoles qui apportent leur aide pendant la saison de baguage de la sauvagine jouent un rôle essentiel en participant à des tâches comme l’enregistrement des données ou la tenue des oiseaux pendant leur baguage.

Les chasseurs jouent également un rôle clé dans les recherches en cours, explique Mme Waldrep. « Il arrive parfois que les appareils cessent de fonctionner ou que l’oiseau meure dans une zone sans couverture cellulaire et nous ne saurons jamais ce qui lui est arrivé », explique-t-elle. C’est pourquoi, si vous recueillez un canard équipé d’un émetteur ou d’un géolocalisateur, il est essentiel de le signaler en utilisant l’adresse électronique ou le numéro de téléphone indiqués sur l’appareil.

« S’ils ne nous contactent pas pour nous aviser qu’ils l’ont trouvé, nous ne verrons jamais ces données », ajoute Huss, soulignant que les géolocalisateurs sont les seuls collecteurs de données utilisés qui doivent être récupérés afin d’obtenir les informations. « Il est essentiel de coordonner la récupération du géolocalisateur afin que je puisse télécharger les données, puis renvoyer l’appareil à son propriétaire [la personne qui l’a trouvé], en particulier pour mes recherches ».

Les chasseurs apportent également leur aide en récupérant les émetteurs lorsque les chercheurs ne peuvent pas se rendre à un endroit particulier. Le retour de ces appareils coûteux est plus qu’une bonne pratique scientifique : c’est aussi une question financière. « Si nous pouvons les récupérer et les placer sur un autre oiseau, nous économisons littéralement des milliers de dollars », explique Mme Waldrep.

Les chasseurs qui renvoient les appareils reçoivent souvent une carte des déplacements de leur canard et d’autres informations sur l’oiseau, une casquette, ou même une réplique de l’émetteur à exposer. Mais le plus important, selon Mme Waldrep, c’est le sentiment de fierté que procure le fait de contribuer à des efforts essentiels de recherche et de conservation. « Des centaines de chasseurs en Amérique du Nord auront directement influencé les données issues de ce projet et cela est vraiment excitant pour les gens ».

Les canards colverts sont plus qu’un simple visage familier dans les marais : ils sont également une espèce clé qui est importante pour toute la biodiversité, allant des pygargues à tête blanche aux achigans.

« Lorsqu’une population est en déclin, cela aura un impact sur une autre population, même si vous ne le voyez pas. Ces écosystèmes ont des interactions si complexes qu’en tant que conservationnistes, nous voulons les maintenir aussi stables que possible », explique Mme Waldrep.

« Ainsi, vous préservez non seulement votre gibier, mais vous préservez également la nature pour vous, votre famille et les générations futures. Et je ne pense pas qu’il y ait de plus grande joie que cela ».

Une collaboration continentale

L’Atlantic Flyway Migration Project repose sur la collaboration de dizaines d’employés des États américains et du gouvernement fédéral canadien et américain, notamment des spécialistes de la sauvagine, des biologistes de la faune et des techniciens. L’équipe de direction du projet de Waldrep comprend Josh Stiller (Départment de la conservation de l’environnement de l’État de New York), John Coluccy (Ducks Unlimited, Inc.), Jake Straub (Université d’État de New York-Brockport) et Mitch Weegman, tandis que l’équipe de direction de Huss comprend Matt Dyson (CIC), Chris Nicolai (Delta Waterfowl Foundation), Paul Link (Département de la Faune et des Pêches de la Louisiane), Karen Machin (Université de la Saskatchewan) et Mitch Weegman.

Pour obtenir davantage d’information sur le projet concernant le canard colvert de l’Est ou la liste complète des collaborateurs et des bailleurs de fonds, veuillez consulter le site : atlantic-flyway-waterfowl-gps.weebly.com (en anglais seulement)

Le déclin du canard colvert est le signe d’une perte plus importante de son habitat

Le rapport annuel sur le statut des populations de sauvagine publié au début du mois de septembre indique que les populations de canards colverts, une espèce phare des efforts de conservation et de restauration des milieux humides, sont inférieures d’au moins 10 % à la moyenne à long terme, tant dans la zone d’étude traditionnelle que dans la zone d’étude de l’Est. Cela met en lumière les facteurs à l’origine des changements démographiques des populations à l’est des Rocheuses, notamment dans les zones de reproduction du centre du continent, des Grands Lacs et de l’Est.

Le dénominateur commun de ces sous-populations reproductrices est l’importance des conditions de l’habitat de reproduction sur la productivité, bien que les menaces et les solutions pour l’habitat varient d’une région à l’autre. C’est pourquoi CIC investit dans les recherches de Waldrep et de Huss afin de comprendre les facteurs qui influencent ces populations et comment nos programmes de conservation peuvent offrir des solutions pour favoriser la productivité des canards colverts.

Pour en savoir plus sur ces projets de recherche et d’autres projets visant à relever certains des plus grands défis actuels en matière de conservation, consultez le site : canards.ca/science