Je suis assis dans une cabane baignée de soleil, l’objectif de ma caméra fixé sur un frêle oiseau jaune. Il la lève délicatement dans la lumière, et les photos que je capte sont si intimes et précises que j’arrive même à voir mon image dans l’œil d’encre noir de l’oiseau.
C’est une rencontre que n’importe quel fervent de l’ornithologie attend patiemment : ni moustiques, ni jumelles, ni besoin de se désempêtrer des broussailles. Une éblouissante paruline jaune mâle, si merveilleuse à admirer et à observer de si près, est une merveille de l’art et du génie aviaire.

Au marais Oak Hammock dans le Manitoba, les bagueurs attrapent, pendant la migration du printemps et de l’automne, toutes sortes d’oiseaux chanteurs — représentant un record de 60 espèces cette année—qui s’arrêtent pour butiner et se nourrir dans les franges peuplées de saules de ce milieu humide. Ils déploient leurs filets japonais, dont le treillis est si finement tricoté que les oiseaux qui tournoient sont délicatement emprisonnés comme des mouches dans une toile d’araignée. Ils sont minutieusement extraits, déposés dans de petits sacs de coton, et une fois dans la cabane, on les scrute de près pour en établir l’âge, le sexe et le statut de reproduction. Certains oiseaux ripostent et piquent leurs ravisseurs de vifs coups de bec. Hormis les carouges qui se débattent et mordent, la plupart gardent le silence et obéissent.

Avec une précision chirurgicale, un petit anneau en aluminium est placé sur la patte de chaque oiseau. Le moment tant attendu arrive enfin : une seconde ou deux en plein soleil lorsque la paruline s’érige comme un trophée. C’est ce qu’on appelle la « prise du photographe » — et je me m’incline. Pour le photographe, c’est un moment de gloire. Pour l’amateur d’oiseaux, c’est un moment à couper le souffle.

La paruline est déposée dans une petite enveloppe et pesée sur une balance. On enregistre les données dans un journal et on libère l’oiseau dans la nature. Il s’affranchit de la captivité et se pose un court instant sur un saule tout proche pour reprendre ses esprits. La paruline renoue avec la vie normale, et j’attends le prochain tour.
