Prendre le temps
Le chef français Jean-Marc Picyk connaît l’art de savourer un plat. Il apprend aujourd’hui à savourer la vie.

Par Julielee Stitt
« Vous savez pourquoi les chefs servent de petites portions dans les bons restaurants?, interroge Jean-Marc Picyk. C’est parce que moins les portions sont grandes, plus les convives prennent le temps d’apprécier leurs plats. Ce n’est qu’alors qu’ils peuvent vraiment goûter tous les mets les plus succulents. »
C’est en Alsace, région du nord-est de la France située sur la rive gauche du Rhin, que Jean-Marc Picyk a passé sa petite enfance. Pendant de nombreuses années, il y a mené une fructueuse carrière de chef et de restaurateur.
Dès l’aube, il apprêtait les plats qu’il servait à ses clients dans la soirée. Les journées de 20 heures n’étaient pas rares.
Or, les clients ne prenaient pas le temps de savourer leurs plats. « Pour moi, c’est vexant », confie-t-il. Les longues heures de travail et leur maigre contrepartie ont eu raison de lui.
« Peu de gens prennent en fait le temps d’observer les arbres se parer de leur feuillage. Pour la plupart, c’est une course contre la montre. Je ne suis même pas convaincu qu’ils mènent une vie normale. J’étais comme eux. Je n’étais jamais heureux… j’ai fini par m’épuiser. »
C’est le jour des funérailles de son père qu’il a finalement décidé de donner un tournant à sa vie. « Lorsque j’étais enfant, mon père me disait que même s’il ne pouvait pas nous léguer une fortune, se rappelle-t-il, il nous donnerait encore mieux : le courage et la persévérance. »
C’est donc riches de ces deux vertus que Jean-Marc et les siens sont arrivés au Canada, pays qui avait conquis son imagination depuis l’adolescence. « Je n’arrive pas à expliquer pourquoi le Canada m’attirait tant. Mais vous savez quoi? Il doit bien y avoir une raison. »
En 2008, son épouse, deux de leurs trois fils et lui se sont donc installés à Oakbank au Manitoba, communauté rurale à 30 kilomètres au nord-est de Winnipeg. Dans les neuf dernières années, ils ont converti une terre de 13 hectares en petite ferme d’agrément peuplée de poules, de lapins, de chiens, de canards, de chevaux, d’une dinde belliqueuse et d’un grand potager.
La famille consomme ce qu’elle cultive, élève ou chasse elle-même, exception faite du vin, du sel rose de l’Himalaya et de l’huile d’olive.
Cette nouvelle vie est un changement de rythme bienvenu par rapport aux nombreuses années passées dans les cuisines huppées de France. « Aujourd’hui, je me contente de ce que j’ai. Si j’arrive à régler mes comptes d’hydroélectricité et de taxes foncières et que ma famille est heureuse, je n’en demande pas plus », dit-il.
Il n’a pas renoncé pour autant à sa passion. Il cuisine désormais pour les amis, la famille et, par un bel avant-midi de la mi-octobre, l’auteure de cet article.
Quand j’arrive chez lui, Jean-Marc m’accueille dans la cuisine familiale. C’est une pièce de grandeur moyenne, avec un garde-manger et des fenêtres qui laissent passer les blafards rayons de soleil de l’automne. C’est sympathique et douillet. Ce n’est pas l’endroit où l’on s’attendrait à ce qu’un chef prépare de la fine cuisine. « C’est ma cuisine de poupée », lance-t-il en pouffant de rire.
Pendant que nous bavardons, mon hôte s’attelle à la tâche : il cuisine la bernache du Canada que son fils Yves a récoltée pendant une chasse encadrée par Canards Illimités Canada (CIC). C’est à cette occasion que j’ai fait connaissance avec Jean-Marc. « Quel merveilleux week-end », se souvient-il.
Pendant toute cette fin de semaine, Jean-Marc m’a parlé avec passion des bienfaits de cultiver et de préparer soi-même ce que l’on mange. À ses yeux, ces activités peuvent être aussi relaxantes que laborieuses : tout dépend de son humeur. « Et s’il y a des mauvaises herbes (dans le potager), ce n’est pas la fin du monde », clame-t-il.
Il reprend le fil de notre entretien en désossant la bernache d’une main experte.
« Ce que je cuisine ici aujourd’hui demande du temps. Ce n’est pourtant pas nécessaire, explique-t-il. Après avoir retiré l’épine dorsale, il pose l’oiseau à plat et le garnit d’une farce qu’il a apprêtée avec des herbes et des abattis. Il y ajoute des abricots biologiques pour le parfum et la couleur, avant d’emmailloter la bernache avec des nœuds de boucher. Faire de la bonne cuisine, c’est tantôt simple, tantôt difficile, tout dépend… »
Enfin, il dépose la volaille dans un poêlon et l’arrose d’une cuillerée à soupe d’huile d’olive. Il la met ensuite au four.
« Il n’est pas nécessaire de se rendre malade à essayer de ne manger que des aliments biologiques ou les meilleurs aliments; il suffit de penser à ce que l’on mange. »
Pause. Réflexion. Délice.
Pendant que le plat cuit au four, le chef consulte sa montre. Il constate qu’il a le temps de sortir de la maison pour accomplir certaines tâches pendant la cuisson de la bernache.
Il se rend donc dans la cage à poules pour ramasser des œufs et arpente son potager pour savoir ce qu’il récoltera bientôt.
« C’est étonnant à quel point Mère Nature est prodigue », s’exclame-t-il.
De retour dans sa cuisine maintenant parfumée, il sort la bernache du four et la découpe. Les abricots réchauffent la viande brune de leur contraste. Il dépose la bernache dans les assiettes et l’arrose du jus de viande. Il sert aussi un assortiment de légumes-racines que sa femme a préparés la veille.
« Et maintenant, à table. » Et en me versant un verre de vin, il précise : « Permettez-moi de vous dire que lorsqu’on mange, ce sont tous nos sens qui sont sollicités. Quel plaisir de déguster des plats délicieux et élégamment présentés. Les parfums, les goûts : tout est bon. »
Je salive dès la première bouchée.
Assis à table en mangeant, il est évident que ce chef autrefois boulomaniaque s’est fait une raison : il ne changera pas la façon dont le monde consomme les aliments. Aujourd’hui, Jean-Marc est heureux. Il a appris à apprécier la vie. Il jardine, chasse et récolte les bienfaits de la cuisine maison avec tous ceux qui sont suspendus à ses lèvres.
« Il faut être reconnaissant de ce que la vie nous offre chaque jour », dit-il.
Et bien qu’il ait toujours du mal à mettre le doigt sur ce qui l’a attiré au Canada, il en a maintenant une bonne idée : dans une communauté manitobaine rurale, sa vie a pris un tout autre tournant ; de nouvelles perspectives s’offrent à lui. Il a découvert l’art de savourer la vie, petit à petit.

Le chef à ses fourneaux
Le chef français Jean-Marc Picyk prépare une savoureuse bernache farcie
Dans cette recette, Jean-Marc cuisine une bernache que son fils a capturée pendant une chasse encadrée de CIC pour servir un délicieux repas qui satisfera les plus fins palais et impressionnera les plus fins gourmets parmi vos convives.
Bernache sauvage farcie
Temps de préparation : Environ 90 minutes
Temps de cuisson : Tout dépend de la taille de l’oiseau. Pour les petits oiseaux (de 1,4 à 2,3 kg), compter 60 minutes. Pour les plus gros (de 2,7 à 3,6 kg), il faut compter plus de temps de cuisson.
Ingrédients
1 bernache
2 carottes
1 oignon
2 gousses d’ail
Un petit bouquet de persil
60 ml (¼ de tasse) de bacon non cuit
30 ml (2 cuillérées à soupe)
d’huile d’olive
Herbes de Provence
Poivre
De 10 à 12 abricots
Bernache
- Plumer la bernache.
- Enlever les abattis. Les réserver dans un bol.
- À l’aide d’un couteau bien affûté, retirer l’épine dorsale. Réserver la carcasse.

Farce
- À l’aide d’un robot culinaire ou d’un hachoir, hacher très finement les carottes, l’oignon, l’ail et le persil.
- Déposer les légumes finement hachés dans un poêlon légèrement huilé. Faire sauter les légumes jusqu’à ce qu’ils soient tendres. Les retirer du feu et les laisser refroidir.
- Prendre les abattis réservés et les passer dans un hachoir. (Si vous n’avez pas de hachoir, un robot culinaire fera aussi bien l’affaire. Pour hacher la viande dans un robot, découpez-la en cubes de 2,5 cm (un pouce). Déposez les cubes sur un plateau, en prenant bien soin de distancer les morceaux. Déposez le plateau au congélateur pendant une vingtaine de minutes. Lorsque les cubes sont gelés, enlevez le plateau et hacher la viande en petites portions dans votre robot culinaire.)
- Hacher le bacon et le mélanger avec les abattis hachés.
- Regrouper les légumes sautés avec le mélange d’abattis et de bacon hachés. Bien les mélanger.
- Assaisonner légèrement la farce avec du poivre et des herbes de Provence.

Montage
- Déposer l’oiseau à plat, côté peau vers le bas, sur un plan de travail. À l’aide d’une serviette en papier, éponger la viande pour enlever le liquide.
- Étendre la farce d’abattis sur l’oiseau. Elle doit faire environ 2,5 cm d’épaisseur. (Servez-vous du reste de la farce pour faire un pain de viande. Déposez simplement les restes de viande sur un plat de cuisson huilé et recouvrez-les de quelques feuilles de laurier et d’un ou deux clous de girofle.)
- Pendant que l’oiseau est toujours à plat, placer environ cinq abricots sur chaque moitié de l’oiseau.
- Replier l’oiseau sur la longueur.
- À l’aide d’une grosse aiguille et d’une ficelle de fibre naturelle (coton ou chanvre), recoudre l’oiseau.
- À l’aide d’une ficelle de boucher, faire des nœuds de boucher (aussi appelées nœuds coulants) sur la longueur de la bernache.

Placer la bernache farcie sur une rôtissoire. L’arroser d’environ 30 ml (deux cuillérées à soupe) d’huile d’olive et la mettre au four. Déposer la carcasse sur la rôtissoire. C’est ce qui permettra de créer le « jus », terme culinaire français qui désigne le jus produit par la viande qui cuit.
Cuire l’oiseau à 204 °C (400 °F) pendant une soixantaine de minutes. Selon la taille de l’oiseau, le temps de cuisson peut être plus long. « La température de l’intérieur de la bernache doit être d’environ 78 °C », conseille Jean-Marc.
Lorsque la bernache est cuite, fermer le four et laisser la bernache reposer pendant 20 minutes. « C’est ainsi que la viande s’attendrit. » Puis, retirer la bernache du four. La déposer sur une planche à découper et la trancher. Arroser chaque tranche de bernache farcie d’une petite quantité de jus de viande puisé au fond du plat de cuisson. Bon appétit!