« Vous voulez que je me déplace encore? »
Glen Michelson taquine le caméraman. Plusieurs personnes s’entassent dans son sous-sol de Lethbridge en Alberta : il y a aussi le producteur et un bon ami de Glen : Ron Montgomery.
C’est la quatrième fois qu’on demande à Glen Michelson de déplacer son fauteuil pour qu’il soit dans l’angle de la caméra. Mais ce n’est pas parce qu’il a 94 ans que cela le dérange. L’équipe de tournage tient à savoir comment se sont passées ces années comme Keeman bénévole de Canards Illimités. Glen Michelson est comme un poisson dans l’eau.
Les Keemen et les Keewomen ont été les yeux et les oreilles de CIC de 1938 à 1998. Ils recensaient les conditions de l’habitat, le nombre de représentants de la sauvagine et les projets potentiels de réaménagement des milieux humides de CIC. Leur mot d’ordre? Conservation, coopération et restauration! Ils ont été les premiers bénévoles conservationnistes de CIC et, pour ainsi dire, les premiers « citoyens scientifiques » du Canada.
À la fin de 2017, CIC a lancé un appel à tous à l’intention de ces bénévoles dans le cadre de son 80e anniversaire. Ron Montgomery a réagi en attirant l’attention sur Glen Michelson qui était, à son avis, un Keeman des premiers jours.
Glen et son frère aîné Ralph ont commencé à travailler comme Keemen de CIC en 1939.

Les deux frères sont nés près du village de Stirling sur la ferme familiale des Michelson, qui est aujourd’hui un lieu historique provincial. Ils ont passé leur petite enfance à capturer des rats musqués et des visons et à chasser les canards et les oiseaux des terres hautes des alentours du lac Stirling, aujourd’hui bien connu comme zone pour la faune et la sauvagine. Glen Michelson se rappelle le jour où, en 1939, Fred Sharp s’est présenté pour bavarder avec eux.
Fred Sharp a été le premier naturaliste de CIC. Une vieille photo en noir et blanc des archives de CIC nous montre un homme au regard vif et à la chevelure clairsemée dans un chandail de curling emblématique, avec des jumelles au cou. Il venait recruter les frères Michelson pour le nouveau corps de bénévoles de CIC : les Keemen. Les deux frères étaient des candidats parfaits, puisqu’ils étaient très attachés au territoire.
Pour une région comme le Sud de l’Alberta, où les sécheresses étaient fréquentes, les premiers projets de CIC destinés à capter le ruissellement des eaux printanières intéressaient les propriétaires fonciers de la localité. « Les agriculteurs accueillaient CIC à bras ouverts parce que pour eux, c’était de l’eau tombée du ciel, confie M. Michelson. Nous avons vraiment répandu la bonne nouvelle. »
Les éleveurs de la localité ont eu tôt fait de s’en remettre à ces nouvelles sources d’approvisionnement en eau pour leur bétail.
« Les projets de CIC ont vraiment permis d’assurer leur subsistance à l’époque », explique M. Michelson.
Glen Michelson est entré au service de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) à la fin des années 1940. C’est à Cambridge Bay, sur l’île Victoria dans le Nunavut, qu’il a d’abord été affecté comme jeune officier. Même dans la haute région de l’Arctique du Canada, il a continué d’envoyer ses rapports de Keeman à propos des espèces comme l’eider à tête grise. Il pouvait s’en approcher quand elles nichaient, dit-il, au point de « presque pouvoir les toucher ».
Après avoir brièvement travaillé pour la GRC, Glen Michelson est parti pour convoler en justes noces avec Betty Jo, la femme de sa vie. Il est devenu inspecteur et expert des empreintes digitales à la police de Lethbridge en 1950. Il y a rejoint Ralph, qui est ensuite devenu chef de police.
Grands, sympathiques et très sérieux, les frères Michelson formaient un duo du tonnerre, dans la police comme parmi les Keemen.

Ron Montgomery a été le directeur régional de CIC à Lethbridge de 1983 à 1998. C’est alors qu’il a fait connaissance avec Glen et Ralph. « Les Michelson connaissaient si bien le Sud de l’Alberta qu’on pouvait leur poser des questions sur n’importe quel habitat : ils connaissaient toujours l’histoire et les propriétaires fonciers, nous apprend Ron Montgomery. Ils étaient donc plus indispensables pour nous sur le terrain. »
Les frères Michelson étaient si passionnés que lorsque les éclosions de botulisme ont tué des milliers de canards pendant la période estivale, ils partaient avec un râtelier sur une remorque tirée par des chevaux et remplissaient la remorque de cadavres de canards ramassés dans le lac. Les deux frères Michelson faisaient aussi partie des responsables du financement de CIC dans la localité, fait observer Ron Montgomery.
« Ils assistaient aux événements, faisaient des dons et parlaient à tout le monde des banquets. Glen et les autres nous ont été très utiles quand il s’agissait de répandre la bonne nouvelle. »
Les deux frères ont également été les ambassadeurs internationaux de la communauté des chasseurs. Glen Michelson se rappelle affectueusement les nombreuses expéditions de chasse à la sauvagine et aux oiseaux des terres hautes que Ralph et lui ont organisées pour une pléiade d’administrateurs, de présidents et de donateurs de Canards Illimités, et même pour quelques agents du FBI qui, « de l’autre côté de la frontière », s’en remettaient à leurs instincts bien rodés. Car après tout, ils savaient où se trouvaient les canards.
« J’ai connu bien de bonnes années et rencontré bien de bons gars, lance Glen Michelson. Je continue de penser que c’était le bon vieux temps. »
Après la mort de son mari, la femme de l’un des chasseurs américains qui avait participé à une expédition de chasse dirigée par Glen Michelson lui a écrit pour le remercier. « Il lui a dit que c’était la meilleure expédition de chasse à laquelle il avait jamais participé », dit Glen Michelson.
« Vous voulez que je me déplace?, plaisante Glen Michelson, une dernière fois.
Pour couronner la journée, on remet à M. Michelson un exemplaire de The Marsh Keepers Journey, livre publié pour souligner le 75e anniversaire de CIC. Ce livre comprend une dédicace personnelle de Karla Guyn, chef de la direction de CIC.
Ravi, il tourne les pages, avant de s’arrêter sur une photo qui montre des centaines de canards colverts qui prennent leur envol dans un marais des prairies.
Toujours aussi curieux comme scientifique citoyen, Glen Michelson pose une question : « Comment les oiseaux s’y prennent-ils pour éviter les collisions en volant alors qu’ils sont aussi nombreux? ».
On lui dit que les scientifiques de CIC répondront à sa question.
Car c’est le moins que puisse faire CIC pour ces premiers gardiens des marais. Nous avons nous aussi un faible pour lui.
