Le satyre fauve des Maritimes est une créature absolument majestueuse. Le dessus des ailes est de couleur ocre foncé et est doté d’une bordure grisâtre : les ailes se déploient depuis le thorax. Dans le coin supérieur de chaque aile, une tache noire et de petites taches jaunes et blanches successives sont les traits distinctifs de cette espèce rare.
Le satyre fauve des Maritimes est considéré comme une espèce en péril. Son habitat — les marais d’eau salée dans le Nord du Nouveau-Brunswick et au Québec — est en péril à cause du relèvement du niveau de la mer, qui accentue l’érosion du littoral et qui limite les secteurs dans lesquels ces papillons peuvent survivre.
On a toutefois mis en place un plan pour permettre de stabiliser et, ultimement, de rétablir la population des satyres. Au Nouveau-Brunswick, un marais d’eau douce artificiel sera réaménagé dans son état de marais d’eau salée naturel, ce qui permettra d’enrayer l’érosion du littoral et d’offrir de nouvelles options pour que le satyre y élise domicile.
It makes sense with these marshes to restore them, to put them back to what they once were and let them act as a defence system.

Le retour des marais d’eau salée
Au Nouveau-Brunswick, la Rivière du Nord se déverse dans la baie de Caraquet sur la pointe nord-est de cette province. Le secteur, qui fait partie de la péninsule acadienne, est riche de marais côtiers. L’un de ces marais a été aménagé par CIC en 1992, essentiellement afin de rehausser l’habitat de nidification de la sauvagine tout en préservant les bancs de poissons de la localité comme le saumon de l’Atlantique et l’omble de fontaine.
CIC y a construit une digue de 250 mètres, en convertissant le marais d’eau salée en marais d’eau douce, doté d’une échelle à poissons, ce qui permet aux poissons d’avoir accès à l’habitat à partir des affluents du cours supérieur. Le marais d’eau douce constituait un habitat de nidification important pour les canards noirs et une foule d’autres espèces des milieux humides.
Ces dernières années, en raison du changement climatique et de la hausse du niveau des mers, CIC a voulu modifier sa gestion de l’habitat sur le littoral dans toutes les provinces de l’Atlantique. Certains projets, comme le site de Rivière du Nord, réclament une nouvelle ligne de conduite : il faut éliminer les structures anthropogéniques, rompre la digue et permettre à l’eau salée de se déverser à nouveau dans le marais pour que l’habitat fonctionne plus naturellement. Le site de la Rivière du Nord se situe dans le périmètre du domaine patrimonial du Village historique acadien, qui fait partie intégrante du chantier de restauration.
« Le saumon et l’omble feront bien sûr toujours partie du tableau; avec l’éperlan, ils se serviront de ce système, explique Frank Merrill, spécialiste des programmes de conservation de CIC au Nouveau-Brunswick. Et le gaspareau (terme collectif qui désigne l’alose gaspareau et l’alose d’été) est un énorme poisson. Le gaspareau apporte une charge de nutriments importante dans ces systèmes, ce qui leur permet de fonctionner. L’anguille d’Amérique est elle aussi une espèce extrêmement importante dans ce système. Grâce à ces travaux de restauration, nous espérons de pouvoir améliorer l’accès à l’habitat. Ces populations baissent constamment depuis quelques années. La sauvagine continuera aussi d’en profiter, puisque les canards noirs feront massivement appel à ce marais durant les périodes de migration du printemps et de l’automne. »
Puisqu’on a établi des plans pour la restauration des marais d’eau salée, Frank Merrill s’attend à ce que les travaux soient lancés à la fin de l’automne 2020. Dans les quelques mois des mouvements des marées, les herbes d’eau salée commenceront à surgir. Dans les deux à cinq prochaines années, le marais permettra de lutter contre l’érosion du littoral du Nouveau-Brunswick.
Le relèvement du niveau de la mer devrait avoir un profond retentissement sur les provinces de l’Atlantique : on estime que le niveau pourrait monter de 26 à 100 centimètres d’ici 2100. Les marais d’eau salée du littoral sont un rempart naturel contre les sautes d’humeur météorologiques : les roseaux constituent une base stable, en amortissant l’effet des vagues sur le littoral. « Il est logique que ces marais puissent les rétablir, en leur redonnant leur vocation d’antan et leur rôle de système de défense », précise Frank Merrill.
On ne s’ennuie jamais dans le marais
Philip Boucher passe rarement une journée sans visiter les marais de la Rivière du Nord. « C’est tranquille, confie‑t‑il. C’est un peu comme prendre une aspirine. Si on a mal à la tête, on prend une aspirine. Mais si moi j’ai mal à la tête, je me promène dans le marais. »
Philip Boucher fait du bénévolat auprès de CIC depuis plus de 30 ans; ses voisins lui ont donné le sobriquet de « M. Canard ». Il participe aux efforts de nettoyage et de restauration, prépare les visites guidées et préside le comité du bassin versant de la localité. Or, pendant tout le temps qu’il passe dans ce marais, il fait savoir qu’il est toujours surpris par l’activité qu’il observe quand il fait des randonnées sur le rivage.
« Quand on se promène dans le marais, chaque tronçon d’une trentaine de mètres est différent, précise-t-il. Il y a des rats musqués et des castors. Et plus on avance, plus on voit des cerfs ou des orignaux. »
Mais pour l’instant, il est ravi de voir en plus grand nombre les satyres fauves des Maritimes, qui lui rappellent sa petite enfance. « Ils passent tout l’hiver sous la glace. Je me rappelle que lorsque nous étions enfants, nous avions l’habitude d’aller patiner sur les marais et que le papillon hibernait sous la glace; et quand on revenait au printemps, c’est un beau petit papillon qui volait. »
Les satyres fauves des Maritimes ont leur habitat à 500 mètres à peine du marais que CIC a l’intention de restaurer, sur les berges de la Rivière du Nord. Quand le marais d’eau salée sera restauré, les experts espèrent que les papillons reviendront sur les lieux et les repeupleront. Ce sera un atout de plus dans la lutte menée pour préserver les milieux humides et gérer notre littoral.