L’arlequin plongeur fait un numéro

J’ai continué de marcher, sachant que mon gros lot – les arlequins plongeurs – devait se trouver au bout de la plage, quelque 1500 mètres plus loin. Tandis que je m’approchais, de la sauvagine noire que je n’ai pas pu identifier m’a survolée.

S’agissait-il d’arlequins plongeurs? Fébrile, j’ai pointé mon objectif vers le ciel pour les immortaliser en plein vol. En fin de compte, c’étaient des bernaches, une autre espèce que je voulais absolument photographier, mais pas celle qui m’amenait ici. Un beau moment quand même.

J’ai suivi les bernaches jusqu’à leur lieu de repos sur les rochers à Clover Point, tout près. Les photographiant tout en marchant, j’ai même réussi à croquer sur le vif un arlequin plongeur! Il n’en fallait pas plus pour que mon pouls s’accélère.

M’avançant prudemment, j’ai remarqué la présence d’un autre photographe calé entre les rochers sur la rive. J’ai décidé de rentrer pour revenir plus tôt encore afin de m’approprier cet emplacement idéal.

Le lendemain, j’étais de retour avec mon monopied pour pouvoir rester accroupie longuement. Bien assise sur un morceau de bois flotté, j’ai réglé mon appareil en fonction de la lumière matinale encore faible. C’est alors qu’une troupe d’arlequins plongeurs a surgi à la nage d’on ne sait où.

Six ou sept mètres devant, je les voyais se baigner et se nourrir avec insouciance dans les eaux peu profondes, au milieu des rochers, offrant leurs petits corps au claquement des vagues. L’arlequin plongeur est plus trapu que bien d’autres espèces, sans doute à cause du milieu accidenté dans lequel il a évolué. Les autopsies révèlent qu’il subit plus de fractures que la moyenne des canards au cours de leur vie, un indice que ces vagues et ces rochers sont aussi peu hospitaliers qu’ils en ont l’air.

Je ne pouvais pas me rassasier de ces petits costauds à l’éblouissant costume de plumes, unique autant par ses couleurs que par ses motifs. Et ce qui m’étonne, c’est à quel point ils savent bien se camoufler dans l’océan agité malgré les points et rayures de blanc et de rouge qui parsèment leur corps gris basalte. Je les ai regardés se nourrir de crabe, comme j’ai observé les malards courtiser les canes en hochant de la tête et en se précipitant vers elles.

Puis ils ont cancané. À moins qu’ils aient couiné?

J’ai appris que l’arlequin plongeur était affectueusement surnommé « la souris des mers » à cause de son cri particulier. Quel bonheur de l’entendre en personne! J’ai même réussi à tourner une vidéo. Je suis restée sur place jusqu’à ce que mon appareil rende l’âme, puis suis rentrée le cœur chargé d’émotions.

J’avais passé une bonne partie de l’année à anticiper ce voyage. Était-il raisonnable de parcourir la moitié du pays en avion pour aller photographier des oiseaux? J’avais espéré de tout cœur que mon voyage soit un tel succès, mais la nature est si imprévisible.

Pour l’avenir, je me souhaite de réussir à observer d’autres espèces de canards. Et à vous, je souhaite de vivre vos passions, quelles qu’elles soient.

Sauver les habitats des arlequins et d’autres espèces de sauvagine de mer

L’eider, la macreuse, le grand harle, le garrot à œil d’or, le petit garrot, la harelde kakawi et l’arlequin plongeur sont tous des canards de mer fréquentant l’Amérique du Nord. Importante source de nourriture pour les populations nordiques, ils sont de plus en plus prisés des chasseurs. Et comme ils comptent aussi parmi les espèces de sauvagine les plus colorées, ils sont aussi souvent dans la mire des photographes et des ornithologues.

Bien que les quinze espèces de canards de mer comptent pour plus du tiers des espèces de canards qui se reproduisent en Amérique du Nord, ils sont le groupe de sauvagine le moins bien compris. C’est pour corriger cette situation qu’a vu le jour une initiative transfrontalière de sensibilisation à la conservation des canards de mer, mais aussi aux moyens de protéger leurs habitats.

Créé par un groupe de chercheurs en conservation des quatre coins du continent, l’Atlas of Sea Duck Key Habitat Sites est une initiative du Plan conjoint des canards de mer, institué dans le cadre du Plan nord-américain de gestion de la sauvagine. Nic McLellan, biologiste chercheur à CIC, a joué un rôle prépondérant dans sa création.

« Si nous savons quelles sont les zones de premier ordre des canards de mer, nous pourrons en tenir compte dans nos actions en faveur de la conservation, explique-t-il. Ce savoir sera aussi très utile pour éviter les répercussions environnementales et évaluer les expertises environnementales. »

L’atlas recense 85 sites qui assurent l’habitat essentiel de ces oiseaux, dont bon nombre sont au Canada. La majorité de ces canards se reproduisent ici, et beaucoup d’entre eux font escale ou hivernent sur nos côtes, notamment celles des Grands Lacs. La santé des habitats est critique pour la croissance des populations de canards de mer. Les aménagements riverains, les risques écologiques de déversements d’hydrocarbures et les répercussions des changements climatiques font tous peser de lourdes menaces sur ces habitats. CIC travaille activement pour assurer la subsistance des populations de canards de mer par l’innovation scientifique et le travail de conservation sur le terrain.