Un couple est attablé au Fairmont Château Whistler : filet mignon, nourri à l’herbe et vieilli parfaitement, accompagné d’un vin rouge sec. Dans le même temps, à 300 kilomètres au nord, Randy Jones et ses partenaires, Juri et Irinel Agapow, signent le chapitre d’une autre longue journée de travail à la Hanceville Cattle Company.
Située dans le district de Chilcotin sur le territoire continental central de la Colombie-Britannique, à 90 kilomètres environ à l’ouest de Williams Lake, la Hanceville Cattle Company (HCC) est un vrai modèle d’entreprise vouée à la conservation et à l’agriculture. Ce filet mignon cuit à la perfection et servi dans un grand hôtel de Whistler est le fruit du partenariat qui réunit HCC et Canards Illimités Canada (CIC).
Dans cette partie du monde, l’élevage du bétail met à rude épreuve la volonté la plus endurcie. Chaque saison met un arsenal de moyens à la disposition de dame nature. Le vent vif de l’hiver nous refroidit jusqu’aux os avant de céder la place à la chaleur du printemps. Pour travailler et réussir, il faut vouloir s’adapter.
C’est ici qu’en 2003, CIC a fait l’acquisition du ranch Handy Meadow, en se portant acquéreur de presque 81 hectares de domaine privé et en reprenant la gestion de 20 200 hectares supplémentaires de pâturages du domaine public. Le terrain accidenté du ranch est constitué à la fois de prés d’herbe sainte qui s’étendent au pied de coteaux rocailleux lisérés de sapins Douglas. Les milieux humides émaillent le paysage du ranch et assurent l’habitat essentiel des oiseaux migrateurs.
Cet écosystème exceptionnel et complexe constitue l’environnement idéal pour élever certaines races de bétail. L’HCC a signé avec CIC un bail de 10 ans pour la gestion du ranch Handy Meadow, afin de pouvoir étendre ses opérations tout en assurant l’habitat essentiel de la sauvagine.

Le conservationnisme culinaire
Randy Jones, de l’HCC, n’est pas l’éleveur de bétail typique. Après ses études secondaires, il est entré tout de suite à l’institut culinaire. Il a ensuite travaillé dans des restaurants huppés à Vancouver avant d’ouvrir son propre établissement à Pemberton. Après avoir passé des vacances dans le Chilcotin, il a été conquis.
« Je me suis follement épris du lieu », confie-t-il.
Son expérience des arts culinaires l’a conduit à l’agriculture, où la recherche des meilleurs produits de culture locale est devenue plus qu’une volonté de servir les clients les plus difficiles. Il a décidé qu’il voulait faire partie de l’industrie qui nourrit son art.
Et l’HCC n’est pas non plus le ranch typique. Quand M. Jones a noué un partenariat avec les Agapow, le trio a décidé d’ajouter d’anciennes races de bétail qui prospèrent dans l’environnement le plus difficile, qui peut transformer « le fourrage indigène en bœuf de qualité supérieure, entièrement nourri à l’herbe ». Ils ont donc adopté la Galloway ceinturée et l’Aberdeen angus — races originaires de l’Écosse — sur le domaine du ranch Handy Meadow.
Randy Jones nous apprend qu’en amenant finalement le bétail dans les prés d’herbe sainte du « domaine marginal » de Chilcotin, ces races vigoureuses prospèrent et donnent un produit exceptionnel. À partir de là, il a pu rehausser ses liens avec la restauration et l’industrie — en faisant la promotion de son produit auprès de chefs qui pensaient comme lui.
« Handy Meadow peut constituer un lieu difficile pour l’élevage du bétail, en raison de son éloignement; or, l’HCC a la volonté et l’ingéniosité qu’il faut pour que Handy Meadow soit un succès — pour les oiseaux migrateurs comme pour sa propre rentabilité », précise Katharine VanSpall, biologiste et cheffe de la gestion de l’habitat de CIC en Colombie-Britannique, ce qui prouve qu’on peut exercer les activités légèrement différemment, faire de l’élevage durable et continuer d’être rentable. »
« Tout le principe de s’occuper du territoire pour que le territoire s’occupe de nous cadre parfaitement avec ce que nous tâchons d’accomplir, opine M. Jones. La vision de Canards s’harmonise parfaitement avec ce que nous tâchons de réaliser. Je crois que c’est impressionnant de constater qu’une entreprise à but lucratif peut exister dans un modèle de conservation de moindre impact. »
Du champ au verre : une brasserie familiale donne une tournure conservationniste à la « dégustation de bière »
Ce qui accompagne aussi un bon steak, c’est une bonne bière froide. Encore mieux, une bière primée, brassée en pensant à la conservation.
Voici Spencer Hilton et Meleah Geeraert, père, fille et cofondateurs d’Origin Malting and Brewing, à Strathmore en Alberta. L’entreprise familiale se consacre à la production d’une bière de qualité, en restant fidèle à ses origines locales et en faisant la promotion de l’attachement de la famille à la cause de la conservation.
« Nous sommes l’une des seules entreprises canadiennes à cultiver, malter et brasser tous nos produits. Nous sommes profondément enracinés dans la communauté », lance Meleah Geeraert, assise à une table à pique-nique à l’intérieur de la brasserie après l’heure de pointe du midi.
Les Hilton se sont installés dans la région de Strathmore en 1910. Dans les années 1970, le père de Spencer Hilton, Gordon Hilton, a été l’un des premiers agriculteurs à adopter de nouvelles méthodes d’ensemencement qui n’exigeaient aucun travail du sol. Cette méthode agricole de conservation des sols a permis de préserver les milieux humides du territoire, en évitant que le sol dérive dans les fossés, les ruisseaux et les autres cours d’eau.
Les Hilton voulaient se consacrer à l’amélioration de la qualité de l’eau sur l’exploitation agricole. L’occasion s’est présentée en 1982 quand CIC a approché la famille et deux de ses voisins pour inonder une zone de basse altitude de 65 hectares de terres agricoles sur leurs propriétés afin d’y aménager l’habitat de la sauvagine. La Coors Brewing Company a financé ce qui est désormais connu comme le Projet Hilton.
Depuis, les Hilton travaillent de concert avec CIC à deux modestes projets pour améliorer l’habitat de la sauvagine dans cette zone.
« Faire ce qu’on peut pour améliorer l’environnement local a toujours fait partie de notre culture », explique M. Hilton.
Du champ aux vaches : la table durable
Karli Reimer tient à poursuivre ce genre de dialogue sur la conservation.
« Les agriculteurs canadiens appliquent les pratiques les plus durables dans le monde — en veillant à ce que le territoire, le sol et l’eau dont ils s’occupent soient plus sains et en améliorant le paysage pour la faune qui y vit », précise Mme Reimer.
Elle a consacré toute sa vie à la relation symbiotique entre la conservation et l’agriculture. Elle a passé sa petite enfance dans la région des Entre-Lacs, au Manitoba, sur une ferme d’élevage bovin voisine d’un projet de conservation des milieux humides de CIC. Depuis 2008, elle exerce les fonctions de spécialiste des communications et du marketing en agriculture de CIC. Au début de l’année, Bœuf canadien l’a choisie comme influenceuse pour sa campagne de marketing 2020 menée sous le titre #MyCanadianBeef.
En sa qualité de représentante de CIC, elle est fière de militer, avec d’autres organismes, pour la promotion de l’industrie bovine.
« Le bétail et la conservation entretiennent des liens naturels, déclare Mme Reimer. Pourquoi? À cause de l’herbe et de l’eau. C’est très simple. Les vaches ont besoin d’herbe et d’eau pour survivre — comme les canards. »
Le territoire qui sert à élever le bétail est le même qui protège des zones naturelles importantes comme les milieux humides et les prairies. Ces zones emprisonnent le carbone, filtrent notre eau et nous protègent contre les inondations et la sécheresse.
Élever le bétail au Canada est en fait une bonne nouvelle pour notre environnement », fait-elle observer.
Or, pour protéger ces habitats menacés de la sauvagine, des oiseaux des prairies et des autres représentants de la faune, il faut trouver les moyens de mener à bien la conservation des paysages qui évoluent.
« Nous aidons les agriculteurs et les éleveurs grâce à des programmes qui rétablissent en prairies les terres agricoles stériles, parfois en faisant appel à des moyens aussi rudimentaires que le clôturage, note-t-elle. En installant des clôtures pour éviter que le bétail ait accès aux zones sensibles comme les cours d’eau, le territoire et le bétail se portent mieux, ce qui améliore la rentabilité de l’exploitation agricole. »
Les partenariats avec les différents propriétaires fonciers et dans l’industrie agricole sont essentiels. « CIC est souvent le seul groupe conservationniste à prendre place à la table, déclare-t-elle. S’il en est ainsi, c’est parce que CIC s’est bâti une solide notoriété dans cette industrie en apportant des solutions pratiques aux problèmes de l’agriculture grâce à la rigueur scientifique (cf. l’encadré ci-après). À une époque très récente, CIC a travaillé de concert avec la Table ronde canadienne pour des récoltes durables afin de mettre au point des normes à l’intention des exploitants de récoltes et avec Cereals Canada sur une étiquette écologique — moyen volontaire de certification du rendement environnemental — pour le blé d’hiver.
Pour Mme Reimer, l’agriculture et l’environnement sont interdépendants. Il est parfaitement logique d’appuyer les agriculteurs qui cultivent durablement nos produits alimentaires et de rehausser leur notoriété.
Après tout, ajoute-t-elle, « les consommateurs en réclament plus de la part de ceux qui mettent des produits alimentaires dans leurs assiettes ».
Encore plus de matière à réflexion
Le moment est venu de parler de l’essentiel
Tout en assurant l’habitat de la sauvagine et de la faune, les milieux humides proches des cultures de canola et des champs de luzerne accueillent également les bourdons et les autres pollinisateurs. Dans les Prairies canadiennes, ces espèces jouent un rôle essentiel, en augmentant la pollinisation et en rentabilisant les cultures agricoles. La recherche menée par CIC démontre que le moindre milieu humide peut faire vivre une communauté diverse de pollinisateurs. De concert avec une incitation financière, CIC offre aux producteurs, sous l’appellation « Pollinator Pak », une trousse d’outils qui leur permet d’aménager un habitat convivial pour les pollinisateurs sur leurs terres marginales (improductives).
Le blé d’hiver, un atout
Ensemencé à l’automne, le blé d’hiver de l’Ouest canadien est une récolte durable, qui assure la biodiversité et l’habitat de nidification des canards comme le canard pilet. Il s’agit de propriétés très rentables, qui offrent aux agriculteurs la possibilité de vendre leurs produits aux marchés de la meunerie, du fourrage et de l’éthanol. Meuniers et boulangers adorent travailler avec la farine de blé d’hiver en raison de sa brillance, qui donne finalement des produits plus blancs. CIC est le promoteur et le partenaire des producteurs de blé d’hiver depuis les années 1990.