Se débarrasser de la carpe commune
Des chercheurs ferment la porte à cette espèce envahissante pour restaurer le marais Delta.

Le marais Delta est bien connu pour sa faune, surtout les canards. Traditionnellement, cet habitat attirait par milliers les oiseaux en halte migratoire et, par le fait même, les fervents du plein air. Or, depuis les quatre ou cinq dernières décennies, la carpe commune (Cyprinus carpio) régnait sur ce marais.
Cette espèce envahissante, introduite dans le marais Delta dans les années 1950, y a tellement fait de ravages qu’elle en a chassé le fuligule à dos blanc et le petit fuligule. Les invertébrés et les végétaux aquatiques indigènes se sont faits de plus en plus rares. Les populations de poissons indigènes ont été délogées elles aussi.
Tous les printemps, la carpe commune quitte le lac Manitoba pour migrer dans le marais Delta. Elle y vient pour frayer dans les eaux tièdes et peu profondes du marais.
La carpe commune se nourrit aussi dans ce marais. Elle racle le lit des milieux humides et soulève des tourbillons de sédiments, ce qui diminue l’ensoleillement et ralentit la croissance des plantes aquatiques. Les invertébrés qui comptent sur ces végétaux pour se nourrir et s’abriter en pâtissent, tout comme les canards, qui ont déserté le marais.
Le seul moyen de redonner à ce marais sa limpidité naturelle était d’en chasser la carpe commune.

CIC/Jeope Wolfe
Entrée interdite
« C’est cette énorme carpe qui détruit en fait le marais, nous apprend Dale Wrubleski, Ph. D.; ce chercheur scientifique dirige les travaux de recherche de CIC et surveille les activités qui se déroulent au marais Delta. Nous abaissons les grilles d’exclusion avant l’arrivée de la carpe. »
M. Wrubleski précise que la carpe migre généralement quelques semaines après les espèces de poissons indigènes comme le grand brochet. De concert avec le gouvernement du Manitoba, CIC a lancé, sous l’appellation Restoring the Tradition (Faire renaître la tradition), un projet visant à venir à la rescousse des milieux humides laissés à eux-mêmes. Ce projet a consisté à construire des digues et des ouvrages destinés à exclure la carpe dans trois zones du marais Delta, là où les chenaux relient le milieu humide au lac Manitoba.
Très rapprochées, les barres d’acier des grilles d’exclusion empêchent la grosse carpe commune d’entrer dans le marais Delta. Et grâce aux digues aménagées non loin de ces grilles, cette espèce envahissante ne peut plus se faufiler pour les contourner pendant les fortes crues.

« Il y a toujours quelques carpes qui arrivent avant les autres. Nous n’arrivons jamais à toutes les éliminer, mais nous en avons essentiellement réduit le nombre astronomique », confie M. Wrubleski.
La première phase de ce projet, qui entre dans sa sixième année, est sur le point de se terminer. La baisse de la population de carpes a éclairci l’eau, ce qui a amélioré considérablement la quantité de végétaux submergés et d’invertébrés et encouragé d’autres espèces à regagner le marais.
« Le potamot pectiné est un exemple de plante submergée qui jadis prospérait dans le marais Delta, mais qui avait presque essentiellement disparu à cause de la carpe, poursuit M. Wrubleski. Aujourd’hui, le potamot pectiné repousse, et les fuligules rentrent au bercail. »
« La sauvagine n’a jamais été aussi nombreuse dans le marais depuis les 30 ou 40 dernières années. »

M. Wrubleski confie qu’il est difficile de se défaire de la carpe commune, dont personne ne veut. Même si on ne réussira sans doute jamais à s’en défaire complètement, les scientifiques ont mis un terme au comportement désastreux de cette carpe, en aménageant un environnement plus invitant pour la faune indigène du marais Delta.