Reconquérir les milieux humides envahis par la salicaire pourpre
La lutte pour sauver l’habitat contre une plante envahissante magnifique, mais destructrice.

Lorsqu’Emma Bocking, spécialiste de la conservation de CIC, a appris que la salicaire pourpre ((Lythrum salicaria) poussait dans le marais Corner Brook, elle savait qu’il n’y avait plus de temps à perdre. C’était la première fois qu’on signalait la présence de cette tristement célèbre plante envahissante dans ce milieu humide de Terre‑Neuve. Et elle espérait bien que ce serait la dernière.
« Lorsqu’une espèce envahissante comme la salicaire pourpre s’installe dans un écosystème, il est très difficile de la déraciner, explique‑t‑elle. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé en priorité d’arracher tout de suite le plus grand nombre de plantes possible, avant que la population ait la chance de vraiment s’enraciner dans le marais. »

Des employés et des bénévoles de CIC ont sillonné en canot les îles du marais, en arrachant les plantes sur leur passage. Ils ont utilisé des truelles pour s’assurer que toutes les racines étaient bien enlevées. Depuis qu’ils ont fini de construire la digue, ils surveillent régulièrement la région pour dépister toute présence de la salicaire pourpre.
Ce n’est pas parce qu’ils n’aiment pas voir les bosquets de salicaire osciller au gré du vent parmi les quenouilles. Car la salicaire pourpre envahit les écosystèmes des milieux humides, asphyxie les végétaux indigènes et prive la sauvagine et les autres représentants de la faune de leurs moyens de subsistance.
Cette plante vivace est arrivée dans l’Est de l’Amérique du Nord au début des années 1800. Les premiers colons l’avaient apportée pour orner leurs jardins, et les graines se trouvaient dans la terre qui servait à lester et stabiliser les navires européens. Depuis son arrivée, elle a essaimé dans l’Ouest et se trouve désormais un peu partout au Canada et aux États‑Unis.

L’équipe à l’œuvre dans le marais de Corner Brook a réussi à déraciner la salicaire pourpre. Elle a eu la chance de compter sur la perspicacité de Jason Foster, bénévole de la localité, qui l’a dépistée. Souvent, les zones touchées ne sont pas traitées tant que les végétaux ne les ont pas envahies, ce qui crée un océan de fleurs pourpres trop nombreuses à arracher.
Les insectes à la rescousse
Lorsqu’une plante change de continent, elle le fait généralement en laissant derrière elle ses ennemis naturels, soit les autres espèces qui maîtrisent sa population sans son habitat d’origine.
« Si la salicaire pourpre est si envahissante, c’est parce qu’elle n’a plus son prédateur naturel, une coccinelle d’Europe », explique Jade Raizenne, spécialiste de la conservation et des programmes auprès de Native Plant Solutions (NPS) de CIC.
« Les chercheurs ont constaté que l’on pouvait introduire des coccinelles au Canada, en toute sécurité, comme moyen de lutte biologique. La coccinelle ne mange que la salicaire pourpre — et aucune autre plante — et ne menace donc pas les espèces indigènes. »

C’est en 2015 qu’on a commencé à introduire, à titre d’essai, les coccinelles dans la municipalité régionale de Brokenhead au Manitoba. De concert avec le Centre autochtone de ressources environnementales (CARE), NPS et les membres de la nation des Ojibway Brokenhead (NOB) ont libéré, dans cinq milieux humides, environ 450 coccinelles prédatrices de la salicaire pourpre.
Ils ont ciblé une zone qui entoure la Réserve écologique de Brokenhead Wetland et qui est connue pour ses espèces rares et ses espèces d’intérêt culturel pour la collectivité.
« Ce que nous voulions en définitive, c’est donner à la collectivité les moyens de poursuivre cette lutte dans les années à venir », déclare Jessie DeGrave, gestionnaire de projet du CARE, adjointe de recherche et gestionnaire du projet de Brokenhead.

Elle précise que les démonstrations de libération des coccinelles ont été suivies par un lâcher de coccinelles par des membres de la collectivité de la NOB. Le personnel de NPS a ensuite donné des instructions sur la manière de recueillir et d’élever les coccinelles prédatrices de la salicaire pourpre en prévision des efforts à consacrer à la répartition des insectes.
Dans l’année qui a suivi la libération des coccinelles, on a tout de suite constaté qu’elles venaient à bout de la salicaire pourpre sur les sites où elles avaient été libérées.
Des tactiques comparables employées ailleurs au Canada remportent autant de succès. En Ontario, dans les années 1990, les coccinelles libérées dans la nature ont permis de réduire de 90 % la superficie couverte par la salicaire pourpre, que la nature s’est chargée de remplacer par des végétaux de marais indigènes.