C’est une ironie — même si c’est le type d’ironie le plus tragique, catastrophique et inutile.
Alors que nous sommes 7,7 milliards à nous confiner pour nous protéger contre un virus qui nous empêche de respirer, la Terre elle-même reprend son souffle. Les habitants non humains de la Terre, aujourd’hui présents dans les lieux que nous occupons généralement, explorent eux aussi la nouvelle définition de l’expression « un peu de place pour respirer ».
Dans l’espace, le parc de satellites d’observation terrestre de la NASA continue de fonctionner, en transmettant des images qui révèlent une amélioration prodigieuse de la qualité de l’air de notre planète. L’activité mondiale, réduite au minimum, a fait baisser de 30 % la pollution atmosphérique dans certaines grandes villes, en dégageant le ciel et en nous révélant des paysages encore plus majestueux. Nos hauts lieux les plus emblématiques semblent même s’ériger avec une grandeur et une gloire renouvelées. Cette baisse en chute libre des émissions polluantes est sans précédent depuis que nous avons commencé, dans les années 1990, à surveiller la qualité de l’air grâce aux satellites.
Et si vous avez l’impression que notre monde est un peu plus calme par les temps qui courent, vous avez raison. Selon un article publié en avril dans Nature, on relève une baisse mesurable des vibrations de notre planète — jusqu’à la croûte terrestre. Les sismologues de l’Observatoire royal de Belgique font aussi état d’un apaisement mondial du bruit sismique et du son ambiant. Les oiseaux chanteurs ont pris le relais pour combler le vide. À l’Université Cornell, le Laboratoire d’ornithologie constate lui aussi que les oiseaux piaillent à une plus haute fréquence — et plus souvent.
Dans l’eau, on mène des travaux de recherche pour mesurer la réduction du bruit dans le détroit de Géorgie, entre l’île de Vancouver et les terres continentales de la Colombie-Britannique. Les premiers rapports nous apprennent que la « puissance » phonique — qui permet de mesurer le nombre de décibels et l’intensité en watts du son sous l’eau, a baissé de 25 %. Les chercheurs croient que cette baisse aura une incidence sur la façon dont les espèces essentielles comme les baleines naviguent, communiquent et se nourrissent dans nos océans.

Ce ne sont que des exemples de la réaction des systèmes terrestres aux changements intervenus dans notre comportement humain — comme toujours. Et même s’il ne devait y avoir aucun bienfait environnemental au prix d’une aussi grande souffrance humaine, il semble que nous soyons les témoins d’une grandiloquente illustration de la troisième loi de Newton : à chaque action correspond une réaction égale et contraire.
On pourrait même en conclure que ces événements viennent confirmer absolument que notre expérience humaine s’oppose au progrès et au potentiel de la nature. Or, cette conviction omet une activité humaine absolument essentielle : la conservation.
Si les humains ont modifié 75 % de la surface de la Terre, une part importante de ce chiffre tient compte des interventions humaines qui donnent à la nature une résilience qu’elle ne peut se donner elle-même. Le traitement des déchets et la purification de l’eau grâce aux milieux humides, en faisant appel à la nature pour reconstruire les milieux naturels afin d’appuyer les espèces en péril, et les interventions fondées sur la nature, qui tiennent compte de la hausse du niveau de la mer, de la sécheresse et des inondations dans les secteurs urbains et ruraux, sont autant de bonnes nouvelles, rendues possibles par les activités humaines menées dans le souci de la conservation.
Prenons pour exemple le sort de la tortue mouchetée menacée. Cette tortue joue un rôle essentiel dans les écosystèmes des milieux humides de l’Ontario. Les tortues mouchetées forment une équipe d’assainissement des milieux humides, en dévorant les vers, les sangsues, les escargots, les limaces, les insectes et les plantes mortes. Elles mangent tout ce qui leur tombe sous la dent. Et puisqu’il y a moins de voitures sur les routes, il est moins probable qu’elles périssent sous les roues des véhicules, qui représentent une véritable menace pour leur existence. Pourtant, sans l’aide de la conservation — et de notre vigoureuse intervention humaine —, ces tortues affronteraient une menace plus importante pour leur survie. La propagation des phragmites envahissants, roseaux vivaces venus d’Europe, ravage les milieux humides et nuit à ces tortues, en les emprisonnant dans les peuplements denses de phragmites. Souvent, il s’agit de femelles qui tâchent de pondre leurs œufs. Les conservationnistes que nous sommes enlèvent cette espèce végétale envahissante, l’étudient et recherchent des solutions permanentes pour l’éradiquer.
Le souci de la conservation est — comme toujours — de s’assurer que nos interventions humaines avec la nature sont utiles, et non délétères, pour les écosystèmes qui définissent notre planète. Quand ces écosystèmes sont endommagés, la conservation les répare.

Le plaidoyer conservationniste pour mieux reconstruire
Étrangement, la COVID et la conservation trouvent un terrain d’entente. Elles ont toutes deux besoin de la science, de l’innovation et de la collaboration. Leur puissance économique est leur pomme de discorde. Si la COVID a toujours tracé la voie de la dévastation économique, investir dans la conservation ouvre des perspectives économiques. Et il se peut tout à fait que les activités qui nourrissent et pérennisent les efforts de conservation soient les mêmes que celles qui puissent désormais relancer l’économie du Canada.
À notre avis, la conservation de l’habitat, en particulier celle des milieux humides, peut jouer un rôle prépondérant dans la relance de notre économie. Pendant les 82 années de notre histoire, nos programmes de conservation et de restauration des milieux humides ont fait rejaillir des bienfaits sur l’économie canadienne, grâce aux travaux de construction et à la création d’emplois divers — sans oublier nos écoservices, qui produisent chaque année des retombées économiques de 4,9 milliards de dollars pour les Canadiens. Pour chaque million de dollars investi dans l’infrastructure verte naturelle, nous estimons que cet investissement produit des perspectives d’emploi comparables à l’industrie de la construction — et produit encore plus d’emplois que dans l’agriculture, la foresterie et la construction automobile.
L’investissement dans la conservation recadre et recentre la relation entre notre expérience humaine et notre lien avec le monde naturel dont nous dépendons. Ces investissements tempèrent le changement climatique, captent les gaz à effet de serre et emprisonnent le carbone, améliorent la biodiversité, apportent un habitat aux espèces en péril et créent une résilience aux chocs météorologiques. Il s’agit aussi d’investissements dans des lieux que nous adorons, où nous trouvons à la fois confort, force et repos. Et surtout, il s’agit d’une éloquente affirmation de la volonté de notre pays de maîtriser le rôle de la nature en militant pour — et non contre — notre prospérité économique et notre avenir.
Pour nous, c’est l’occasion de faire avancer la cause de la conservation — et de le faire sans négliger qui que ce soit. Parce que s’il y a une leçon que les derniers mois nous ont enseignée, c’est bien que nous pouvons accomplir des exploits absolument remarquables quand nous déployons nos ailes ensemble.

Notre évolution est le produit de difficultés économiques et environnementales
Les années 1930 ont été définies par la Grande Dépression et par la sécheresse qui a frappé les plaines. Les tempêtes de poussière et les périodes de sécheresse ont fauché des vies humaines et décimé le bétail. Des récoltes ont été perdues sur l’ensemble du territoire. Des milieux humides ont disparu, et les populations de sauvagine et fauniques ont régressé à vive allure. Les familles d’agriculteurs, dans le désespoir, ont amorcé un parcours migratoire, en quête de travail et de meilleures conditions de vie.
Or, cette période difficile a donné naissance à un groupe qui allait constituer ce qui est désormais connu sous l’appellation de Canards Illimités, un organisme qui s’étend désormais à toute l’Amérique du Nord et qui se consacre à la sauvegarde des milieux humides. Ce groupe de pionniers de la conservation était convaincu que même dans le désespoir, il est possible de laisser son empreinte. Aujourd’hui, dans leur clairvoyance, il a mis sur pied un organisme qui réunit tous ceux et celles qui veulent communier avec la nature et léguer aux générations futures un monde plus vert.