Nous sommes en 1991. La Chevrolet S10 verte de Brett Calverley bondit sur les routes de canton poussiéreuses qui sillonnent le relief accidenté de la moraine du lac Buffalo en Alberta. Il est à la recherche de quarts de section (64,75 hectares) de terrains nouveaux sur le marché.
Ces terrains — qui constituent un habitat de prédilection pour la reproduction de la sauvagine migratrice — doivent absolument être épargnés.
Heureusement, Brett Calverley pouvait compter sur le puissant levier financier que constitue le Plan nord-américain de gestion de la sauvagine (PNAGS). Au volant de sa voiture, il se disait qu’il allait miser sur cet atout maître. Il pouvait aussi consulter un nouveau modèle informatique qui lui apprenait que l’acquisition et la location à long terme de terrains lui permettraient de faire ce qu’il y a de mieux pour les canards.

Accompagné d’un agent foncier, Brett Calverley était convaincu, dans toute sa jeunesse, qu’il allait changer le monde, à raison d’une parcelle de terrain à la fois.
« C’était passionnant et tout à fait nouveau, se rappelle-t-il. Nous allions ainsi résoudre les problèmes de productivité de la sauvagine de tout le continent. » Il était l’un des spécialistes de la protection de l’habitat de CIC et le coordonnateur du « Projet première étape » du PNAGS en Alberta. Il était, dans les provinces des Prairies, l’un des trois piliers de ces premiers efforts de mise en œuvre du PNAGS dans la moraine du lac Buffalo.
« Il y avait tant d’intervenants, au Canada et aux États-Unis, qui souhaitaient que nous réussissions, confie-t-il. J’étais sur le terrain tous les jours. Or, il y avait aussi beaucoup de réunions à tenir et énormément de planification à faire, tout en même temps. »
Le PNAGS est un exemple remarquable de collaboration qui réunit des pays, des gouvernements, ainsi que le secteur privé et celui des organismes à but non lucratif afin d’adopter une stratégie pour protéger à long terme les milieux humides et les habitats des terres hautes dont ont besoin la sauvagine et les autres oiseaux migrateurs du continent. Quand le PNAGS a été lancé, en 1986, l’habitat de la sauvagine se drainait, se détruisait ou se polluait à un rythme effarant.
Le gouvernement fédéral américain a réagi en adoptant en 1989 la North American Wetlands Conservation Act (NAWCA) pour financer la quote-part qu’il consacrait au PNAGS. Ce financement complémentaire provenait des différents dons du gouvernement fédéral canadien et des organismes et entreprises privées des provinces, ce qui permettait à des groupes comme CIC de recenser et de sauvegarder de précieux milieux humides. En Alberta, les membres du personnel de CIC ont fait appel à des modèles informatiques qui leur permettaient de repérer les terrains les plus susceptibles de les aider à atteindre la cible du PNAGS. L’objectif? Rétablir les populations de sauvagine aux niveaux qu’elles atteignaient dans les années 1970.
Brett Calverley avait déjà l’expérience du sauvetage des terres hautes et des terrains de nidification en péril. Au milieu des années 1980, il participait en Alberta à un modeste projet pilote d’aménagement de milieux humides. Dans le cadre de ce projet, il est allé frapper aux portes des agriculteurs dans des cantons comme Stettler et Viking afin de les encourager à changer de leur plein gré leurs pratiques agricoles ou de consentir une servitude de 20 ans sur leur domaine pour y accueillir la sauvagine.
« À l’époque, nous n’avions pas d’argent à leur offrir, se souvient-il. Ce que ce projet pilote nous a appris, et ce qui a été extrêmement utile pour le PNAGS, c’est qu’une approche fragmentée, sans financement, était vouée à l’échec. Il nous fallait une meilleure solution », explique-t-il.
C’est justement ce que la NAWCA a permis de faire. Couronné de succès, le Projet première étape, qui venait démontrer que les organismes canadiens et américains pouvaient travailler en partenariat et réunir des fonds pour réserver des parcelles de terrain stratégiques et les protéger contre la dégradation ou la disparition, est devenu le modèle qui permettrait de financer des projets dans le cadre du NAWCA.
Il s’agit d’un modèle international de conservation de la sauvagine qui est toujours financé aujourd’hui, 30 ans plus tard.
Avec le recul, Brett Calverley, aujourd’hui retraité, croit que son rôle dans la mise en œuvre du PNAGS est l’une des meilleures activités qu’il ait menées à bien. Pourquoi? « Parce que le plan a fonctionné, dit-il. À ses yeux, le partenariat est le secret du succès de ce plan. Ce que j’ai appris de plus important, et ce qui m’a étonné, c’est qu’il est absolument essentiel de nouer des partenariats solides et d’être attentif aux besoins de chacun. »
Toujours est-il que ces partenariats ont permis de sauver les canards, malgré tous les chemins cahoteux que Brett Calverley a dû parcourir. « J’ai l’impression que le plan est fructueux, que nous sommes sur la bonne voie et que nous atteignons la cible. »
La NAWCA en chiffres
- La NAWCA représente un investissement judicieux du budget fédéral limité, puisque chaque dollar versé doit être égalé par au moins un autre dollar; or, le financement est souvent doublé ou triplé à l’échelle locale.
- Les subventions versées dans le cadre du NAWCA totalisent plus de 1,7 milliard de dollars; elles ont permis de réunir plus de 5,0 milliards de dollars pour les projets, grâce à des fonds complémentaires et non complémentaires.
- À ce jour, la NAWCA a permis de financer plus de 2 900 projets sur presque 12 140 569 hectares dans les 50 États américains et dans des régions du Canada et du Mexique.
- Plus de 6 000 partenaires, dont des propriétaires fonciers du secteur privé, des représentants de l’industrie et des administrations d’État, ont travaillé en collaboration pour préserver l’habitat faunique grâce aux subventions du NAWCA.