Gagner la guerre contre les phragmites envahissants
Un programme pilote gagne du terrain dans la lutte contre l’envahisseur.

Perché sur le toit du Maître des marais, son VTT, Eric Giles est appelé à travailler à des hauteurs pouvant atteindre six mètres. Il le faut bien, s’il veut surmonter la cime des phragmites envahissants. Son conducteur ne voit qu’une forêt de phragmites.
« Nous devons porter des casques d’écoute pour communiquer; c’est ainsi que j’arrive à le guider », lance Eric Giles.
Il épand un herbicide sur les phragmites qui ont envahi un milieu humide du Sud de l’Ontario. L’épandage fait partie d’un programme pilote de lutte contre les phragmites envahissants (Phragmites australis) dans les parcs provinciaux de Long Point et de Rondeau. L’engin, qui arbore le logo « Phrag’n Slayer » (Mort aux phragmites), est l’un des rares à pouvoir se frayer un chemin dans l’épaisse forêt de végétaux, qu’il a vue atteindre 6,7 mètres de haut.
« Quand un engin de 3 175 kilos arrive à peine à traverser cette forêt de phragmites, imaginez une tortue mouchetée, s’exclame-t-il. Le phragmite fait tellement de ravages qu’il pourrait chasser toute cette faune. »

Le phragmite envahissant est une espèce végétale vigoureuse, dont la croissance dépasse nettement celle de son pendant indigène. Il asphyxie les autres végétaux et les écosystèmes des milieux humides qui assurent la subsistance de la faune.
« Les phragmites envahissants délogent la plupart des végétaux indigènes et forment des colonies denses, qui empêchent tous les autres végétaux de pousser », explique Erling Armson, chef des programmes de préservation des terres, de lutte contre les espèces envahissantes et d’aménagement du Grand Nord de CIC.
« Sa prolifération réduit la biodiversité et la superficie des plans d’eau découverts. Il nuit également aux espèces qui vivent des milieux humides, soit environ 20 % des espèces en péril de l’Ontario. »
En 2005, les scientifiques d’Agriculture et Agroalimentaire Canada ont dû se rendre à l’évidence : le phragmite envahissant est la pire plante envahissante au Canada. Bien enraciné dans le Sud‑Ouest de l’Ontario et dans l’Est de cette province, près de la frontière avec le Québec, il se répand aussi dans la région boréale du Nord de l’Ontario. Dans des conditions propices, il peut se propager au rythme de 30 % par an.
Il n’y a pas de solution facile pour venir à bout des phragmites envahissants en Ontario. Or, une stratégie à plusieurs volets gagne du terrain, grâce à de vastes efforts de recherche et de partenariat.
Dans les parcs provinciaux de Long Point et de Rondeau, CIC a cartographié cette plante et uni ses efforts à ceux du ministère des Richesses naturelles et des Forêts de l’Ontario, de Conservation de la nature Canada et de groupes d’intérêts spéciaux. Ensemble, ils ont mis sur pied le programme pilote d’épandage de l’herbicide et ont obtenu un permis d’homologation pour les cas d’urgence afin d’éradiquer les vertigineux bosquets de phragmites. À ce jour, ils ont réussi à traiter plus de 1 500 hectares de superficie.
En hiver, on écrase ou on coupe les phragmites morts. Dans certaines régions, on peut aussi les brûler. Ainsi, les végétaux des milieux humides indigènes peuvent se régénérer plus facilement, ce qui permet aux milieux humides de se doter de nouveau d’un écosystème à la fois plus sain et diversifié.
Selon Erling Armson, c’est une stratégie qui porte fruit.
« Un volet intensif de surveillance et d’évaluation — mené par l’Université de Waterloo — permet de constater que grâce à l’herbicide, on peut effectivement venir à bout des phragmites sans produire de profonds retentissements sur la qualité de l’eau ou sur la faune », explique-t-il.

Nous avons peut‑être remporté les premières batailles dans les parcs de Long Point et Rondeau, mais l’Ontario n’est pas le seul endroit où les phragmites envahissants se sont installés. On en relève désormais dans les trois provinces des Prairies.
« Au Manitoba et en Saskatchewan, on fait toujours état de bosquets épars et peu répandus, affirme Dale Wrubleski, scientifique principal auprès de l’Institut de recherche sur les terres humides et la sauvagine de CIC. Toutefois, en Alberta, les auteurs d’une publication récente ont constaté que la sous‑espèce envahissante est sans doute plus répandue que la sous‑espèce indigène. »
Pour l’heure, les chercheurs comme Dale Wrubleski se contentent d’observer cette plante et les endroits où elle pousse dans l’Ouest. Pour gagner la guerre contre les phragmites envahissants dans les Prairies, on peut s’inspirer du succès remporté grâce aux stratégies mises au point en Ontario.
« Il est difficile de se défaire des phragmites, explique Eric Giles. Or, dans un seul épandage d’herbicide, nous avons obtenu un taux de réussite de 80 % à 90 %, en intervenant au bon moment et grâce au bon équipement. C’est une stratégie qui peut être très fructueuse. »