À travers d’épais couverts de mangroves rouges, noires et blanches, Gabriela de la Fuente emmène un groupe dans une visite guidée non loin de Celestún, dans la péninsule mexicaine du Yucatán. Elle attire leur attention sur les zones dégradées et leur décrit les techniques de restauration collaborative qui permettent de redonner vie à de nombreuses forêts de mangrove. Elle aperçoit dans le ciel une nuée de sarcelles à ailes bleues et leur explique que plus de 80 % des sarcelles à ailes bleues d’Amérique du Nord passent l’hiver au Mexique. Elle est comme un oiseau dans l’air.
Gabriela De la Fuente est directrice adjointe de Ducks Unlimited de Mexico’s (DUMAC). Ceux qu’elle guide participent au programme RESERVA de DUMAC; il s’agit du premier programme de formation pratique à vocation internationale pour les professionnels des ressources naturelles qui se consacrent aux milieux humides. Les participants au programme RESERVA viennent de partout en Amérique latine et dans les Antilles.
Son parcours dans l’apprentissage de la conservation remonte à sa petite enfance : elle attendait avec impatience les anecdotes que son père et ses frères lui rapporteraient à propos de leurs excursions de chasse et de pêche. Même si elle était encore trop jeune pour y participer avec eux, elle avait déjà la passion du plein air chevillée au corps.
Des années plus tard, c’est à l’université qu’elle a décidé de se consacrer à sa passion. Elle a étudié différents sujets liés à l’hydrologie, à la biologie et au génie. Peu de temps après avoir décroché son diplôme, elle est rentrée dans sa ville natale de Monterrey, là où se trouve le bureau de DUMAC.
« Un jour, j’ai simplement décidé d’y laisser mon curriculum vitae. Des années plus tard, on m’a donné l’occasion de travailler chez DUMAC, où je suis encore, 27 ans plus tard. »
Les études et la formation font partie de ses grandes priorités, et la RESERVA est l’outil de formation phare de DUMAC.
À la fin du programme, les professionnels qu’elle guide reprennent leurs fonctions, énergisés par les connaissances qu’ils ont acquises auprès de spécialistes comme Gabriela de la Fuente et par les compétences pratiques qu’ils ont perfectionnées dans le leadership de la conservation.

Les compétences qu’ils viennent d’acquérir seront essentielles. Eduardo Carrera le sait très bien.
Chef de la direction de DUMAC, Eduardo Carrera navigue adroitement dans un paysage convoité pour des raisons parfois contradictoires. Il tâche de préserver les précieux marais à mangrove de son pays, d’autres habitats vulnérables et l’hivernation de la sauvagine du continent au Mexique.
Eduardo Carrera explique sans relâche l’importance des marais à mangrove aux gouvernements, aux promoteurs et aux propriétaires de fermes à crevettes. Ces marais sont essentiels à l’écosystème mexicain. Ils représentent aussi des aires d’habitat pour la faune migratrice venue des États-Unis et du Canada et qui comprend des espèces comme le fuligule à tête rouge, le canard pilet, le canard d’Amérique et, bien sûr, la sarcelle à ailes bleues.
Près de 20 % du littoral mexicain sont constitués de marais à mangrove. « Ils regroupent 21 des secteurs prioritaires massivement utilisés par la sauvagine qui passe l’hiver au Mexique », précise Eduardo Carrera. Les arbres et arbustes de la mangrove, grâce à leurs réseaux racinaires profonds et complexes, sont adaptés aux conditions salines. Les marais qu’ils supportent regorgent de riches matières organiques qui produisent la nourriture — tels les invertébrés aquatiques — dont se régalent les canards affamés.
Sur la côte ouest du Mexique, dans l’État de Sinaloa, l’exploitation intensive de la crevette a inondé les terres ou asphyxié les marais à mangrove ou en a distrait l’eau dont ils ont besoin à long terme. Les crevetticulteurs aménagent, essentiellement dans le marais salin voisin, des étangs artificiels, les ensemencent de crevettes et creusent des chenaux pour alimenter les étangs en eau douce et en eau de mer, ce qui vient modifier le débit et accroître la salinité de l’eau, pour finalement détruire les mangroves environnantes. Un relevé d’imagerie satellitaire établi par DUMAC de 1992 à 2003 a révélé que 11 413 hectares de mangrove avaient cédé la place à l’exploitation de la crevette dans cette période. Eduardo Carrera affirme que les images de ce relevé constituent un puissant outil de formation pour démontrer aux représentants du gouvernement les conséquences du développement de la crevetticulture.

« Ils peuvent effectivement constater qu’ils doivent être attentifs au problème qui se produit dans les régions côtières, explique-t-il. Ils peuvent aussi constater qu’ils doivent commencer à mettre en œuvre des règlements plus rigoureux. »
La véritable tragédie, c’est que même si la culture de la crevette apporte parfois des gains économiques à court terme, elle n’est finalement pas viable. Eduardo Carrera fait observer que la permissivité de l’État est souvent nourrie par l’appât du gain politique et du gain économique local à court terme, sans se soucier de la viabilité. Le long des côtes, on aménage des fermes de crevettes, qu’on abandonne rapidement à cause des maladies et de la pollution.
« La récolte est bonne pendant un an, et on ne peut plus rien en tirer ensuite. Mais les dégâts sont déjà faits, se plaint Eduardo Carrera. Nous ne disons pas de ne pas construire des fermes de crevettes. Ce que nous disons, c’est plutôt qu’il faut trouver le moyen de construire des fermes économiquement viables, qui viendront mettre fin aux dégâts causés aux écosystèmes côtiers », explique-t-il.
D’autres menaces pèsent sur les écosystèmes du Mexique. Ceux qui vivent dans l’extrême pauvreté imposent aussi, sans le vouloir, un fardeau au territoire. Bien des collectivités rurales pauvres n’ont pas de réseau d’égout, et les déchets humains peuvent librement se déverser dans les milieux humides tout proches et les détruire. En réaction, DUMAC a commencé à construire des centrales de traitement des eaux usées, sur des terrains où sont déjà aménagés des milieux humides.
Certains villages plus imposants doivent réduire considérablement les déchets déversés dans les zones de milieux humides. En intervenant à la base, au niveau des infrastructures, DUMAC a restauré des milieux humides importants pour les espèces de sauvagines migratoires et résidentes.
Dans les petits villages, DUMAC a installé des bains secs, des biofiltres et des biodigesteurs dans les maisons pour réduire la consommation de l’eau et accroître la qualité des eaux usées que produisent les villageois.
Bien des villageois n’ont pas une bonne idée de l’impact écologique qu’ils produisent sans le vouloir. C’est pourquoi l’éducation rurale est un aspect essentiel de ce qu’Eduardo Carrera appelle le « volet social » des défis que son organisme doit relever.
À son avis, quand on donne une formation environnementale aux habitants, ils finissent par comprendre qu’ils font partie du problème — et de la solution. Ils deviennent plus réceptifs aux nouvelles écotechnologies et changent d’attitude à propos de l’environnement dont ils sont tributaires.
« Ils doivent se rendre compte que la préservation de ces milieux humides se répercutera directement sur leur propre mode de vie », explique-t-il.
Pour ce qui est des participants au programme RESERVA, Gabriela de la Fuente apporte à une autre génération, au milieu des plans d’eau et de la faune qui continuent de l’inspirer, les connaissances et les outils qui leur permettront de maîtriser la conservation toute leur vie durant.
« J’ai toujours adoré mon travail et je suis infiniment reconnaissante à DUMAC de me donner l’occasion de me consacrer à ma passion », lance-t-elle.
Les conservationnistes et la sauvagine migratrice de l’Amérique du Nord sont reconnaissants aux ambassadeurs des canards du Sud comme Gabriela de la Fuente et Eduardo Carrera.

Sauvegarder les milieux humides du Mexique
Avec un modeste budget annuel d’exploitation d’à peine trois ou quatre millions de dollars, le personnel de DUMAC exerce ses activités avec une efficience exceptionnelle. En plus de 40 ans de travaux de conservation, DUMAC a restauré et amélioré plus de 0,77 million d’hectares d’habitat partout au Mexique et a classifié 11 millions d’hectares de milieux humides et de terres hautes dans le cadre du Programme d’inventaire des milieux humides.
Le sanctuaire hivernal de nos oiseaux migrateurs
Un nombre considérable de représentants d’oiseaux migrateurs d’Amérique du Nord hiverne au Mexique. Voici la répartition des espèces sauvagines :
- Bernache cravant noire : jusqu’à 85 %
- Sarcelle à ailes bleues : jusqu’à 84 %
- Fuligule à tête rouge : jusqu’à 35 %
- Canard d’Amérique : jusqu’à 25 %
- Canard pilet : entre 20 % et 25 %
- Sarcelle d’hiver : jusqu’à 20 %
Vous voulez vous aussi migrer au Mexique cet hiver et en savoir davantage sur les travaux de DUMAC? DUMAC vous invite à participer aux festivités de son 45e anniversaire à la Riviera Maya en février 2019! Pour en savoir davantage, veuillez consulter ducks.org/dumac45
CONSERVATIONNISTE: LE MAGAZINE DE CANARDS ILLIMITÉS
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