Au tournant du dernier siècle, être un bel oiseau en Amérique du Nord pouvait s’apparenter à un arrêt de mort. Les plumes des oiseaux étaient très recherchées dans la mode, certaines espèces étaient aussi récoltées pour leur viande, et le concept de la conservation n’avait guère de place dans l’opinion populaire, ni dans l’élaboration des politiques d’intérêt public.
C’était la triste réalité pour ce qui est sans doute le plus beau canard du continent : le canard branchu. Des dizaines d’années de surexploitation dans la chasse commerciale, de concert avec la disparition d’un vaste habitat, ont quasiment réglé le sort de ce canard, qui frôlait l’extinction.
Heureusement, cette surexploitation des espèces n’a pas sonné le glas du canard branchu.
Qu’est ce que la surexploitation des espèces?
En bref, une espèce est surexploitée quand on la consomme plus rapidement qu’elle se renouvelle ou à un rythme supérieur à ce que sa population peut soutenir.
« En prenant l’exemple des canards branchus, il s’agissait sans doute de l’espèce de canard la plus abondante à l’est de la rivière Mississippi avant la fin des années 1800, nous apprend Matt Dyson, chercheur scientifique à l’Institut de recherche sur les terres humides et la sauvagine de Canards Illimités Canada (CIC). Il n’y avait pas de réglementation, et on chassait ce canard dans toutes les saisons de l’année, y compris dans la saison de la reproduction, ce qui a mené à la quasi-extinction du canard branchu dans certaines régions. »
Le canard branchu n’est qu’un exemple de la surexploitation portée par les humains. En voici d’autres exemples :
- La grue blanche. Après la colonisation, la chasse excessive et la dégradation de l’habitat ont presque eu raison du plus grand oiseau en Amérique du Nord. En 1941, on ne comptabilisait, mondialement, que 21 grues blanches; il en existe aujourd’hui 800 environ.
- Le bison. La colonisation des peuples Autochtones par les Européens a entraîné la décimation des populations de bisons, car ces derniers constituaient une source importante de nourriture culturelle. Cela a entraîné la famine, des moyens de subsistance non durables basés sur la chasse et l’adoption de modes de vie européen. Au 19e siècle, les populations de bisons, qui se comptaient autrefois par millions, ne comptaient plus que par centaines.
- Le saumon. Près de la moitié des populations de saumon chinook du Sud de la Colombie‑Britannique sont en déclin, et leurs difficultés s’étendent à d’autres espèces mises à mal. Le saumon est une source d’alimentation critique pour les épaulards résidents du Sud de la Colombie‑Britannique.
- Les arbres. D’après le rapport 2021 State of the World’s Trees, 30 % des espèces d’arbres sont menacées d’extinction. Aux pratiques d’exploitation forestière non durables et au débroussaillage viennent aujourd’hui s’ajouter les risques de maladies, les espèces envahissantes et les dérèglements climatiques — qui se répercutent non seulement sur les arbres, mais aussi sur l’ensemble des écosystèmes.

L’équilibre des écosystèmes
La disparition d’une espèce n’est peut être pas le résultat d’un seul et même problème comme la surexploitation, et dans l’ensemble, de défi de la régression de la biodiversité est complexe. Or, dans certains cas, nous savons par où commencer.
Dans un récent rapport, l’Organisation des Nations Unies (ONU) classe les cinq facteurs directs de l’évolution de la nature; le plus important se rapporte jusqu’à maintenant aux impacts mondiaux. Les « changements dans l’utilisation du territoire et de la mer » en sont le premier facteur, d’après ce rapport. Ces changements comprennent la disparition de l’habitat et sa dégradation — et malheureusement, les milieux humides sont souvent ceux qui en sont finalement les victimes. Un autre rapport de l’ONU nous apprend que « les zones humides restent dangereusement sous-évaluées dans les plans nationaux » et qu’elles disparaissent trois fois plus vite que les forêts dans le monde.
Quand la disparition de l’habitat s’ajoute à la surexploitation, il est parfois difficile d’avoir de l’espoir. La population humaine croît; il en va de même de notre demande en ressources. C’est justement là que l’évolution du canard branchu montre qu’il est possible d’inverser la tendance.
« Entrée en vigueur en 1913, la Weeks-McLean Bill interdisait la chasse au printemps des oiseaux sauvages, ainsi que la commercialisation et l’importation de leurs plumes. Ce projet de loi s’est enchaîné, en 1918, avec la Loi sur la Convention des oiseaux migrateurs, qui interdisait la chasse au canard branchu dans tout le pays », explique Matt Dyson. Peu de temps après, les chasseurs et d’autres parties prenantes se sont mobilisés pour sauver l’habitat de reproduction de la sauvagine menacé et pour rehausser les possibilités de reproduction grâce à des structures comme les nichoirs, en faisant appel à la science citoyenne, en nouant des partenariats internationaux et en mettant sur pied des organisations à vocation scientifique comme CIC.
En réduisant ainsi la pression qui leur était imposée, de concert avec les initiatives d’aménagement de l’habitat, les populations ont pu en quelque sorte rebondir, et le canard branchu est à nouveau l’une des espèces sauvaginières les plus abondantes dans le parcours migratoire du Mississippi. Cette espèce constitue aujourd’hui une population stable, qui favorise une récolte durable — et qui couronne le succès de la conservation en Amérique du Nord.

Nous avons tous le pouvoir d’apporter des changements pour le mieux
Tous ceux et celles qui profitent de l’utilisation des ressources naturelles — ce qui veut littéralement dire tout le monde — peuvent faire basculer l’équilibre en faveur de la durabilité. Pensez aux moyens de :
- faire des choix durables. Comme consommateur, quand vous achetez des produits comme des fruits de mer récoltés durablement, du bois d’œuvre provenant de sources gérées durablement et de produits fabriqués grâce au blé d’hiver qui ne nuit pas aux oiseaux, vous dites aux détaillants et à l’industrie que ces choix sont importants. Que vous soyez pêcheur à la ligne, chasseur ou cueilleur, soyez fier de votre état d’esprit conservationniste, ne consommez que ce dont vous avez besoin et respectez les limites fixées pour la chasse et la possession.
- promouvoir des décisions inspirées de la science. Les compétences dans la biodiversité, dans les infrastructures naturelles, dans les dérèglements climatiques et dans les écosystèmes — de concert avec l’exactitude des inventaires des habitats qui restent — nous permettent de savoir où il faut investir dans la conservation pour produire le plus d’impact.
- valoriser le savoir faire traditionnel et miser sur ce savoir faire. Les enseignements autochtones transmis depuis des millénaires pour vivre en harmonie avec la nature apportent un éclairage exceptionnel, inspiré des expériences vécues et pertinentes.
- mettre les décideurs comme le gouvernement au défi de promouvoir les économies vertes et de consacrer à la nature au Canada suffisamment d’espace.
- donner de l’information. Tous peuvent participer à la science citoyenne, en publiant leurs observations sur les plateformes comme iNaturalist, qui viennent étoffer la recherche. Si vous êtes chasseur, répondez au sondage du gouvernement et soumettez des échantillons chaque fois qu’on vous invite à le faire.
- devenir un partenaire actif dans la protection du territoire et de l’eau dont nous profitons tous. Investissez dans la conservation comme donateur, bénévole ou défenseur. Les actions les plus modestes concourent à un changement positif.
Qu’en est il de nous? Canards Illimités Canada fait beaucoup plus que s’occuper des canards. Nous sommes fiers de mener l’effort de conservation et de restauration des milieux humides du Canada, qui assurent la subsistance de 97 espèces fauniques en péril et des centaines d’autres espèces. Nos travaux de recherche apportent un éclairage sur les populations des espèces et viennent informer les règlements sur la chasse. Nos partenariats nous aident à promouvoir les initiatives de conservation définies par les territoires et les parcours migratoires des espèces et dont la portée s’étend au-delà des frontières politiques. Et grâce à l’appui de milliers de supporteurs d’un océan à l’autre, nous avons plus que jamais la volonté de nous assurer que la faune et la nature continueront de faire partie intégrante de nos lendemains.